Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

collèges de l’état pour quelques-unes des classes supérieures, elles ne livreraient à leurs rivaux que des esprits qui auraient déjà reçu leur pli et sur lesquels elles continueraient à veiller pour tout ce qui tient à la culture morale. Le gain serait petit pour l’Université et pour le but que l’on poursuit en son nom et sans son aveu. Quelle action aurait-elle sur des élèves qui lui viendraient tardivement, par contrainte, mieux préparés à se défier de ses leçons qu’à les recevoir avec docilité et à en retirer un sérieux profit ? Leur instruction y gagnerait peu ; leur éducation n’y gagnerait rien. C’est en effet nourrir de singulières illusions que de croire qu’on rétablira « l’unité morale de la France, » parce qu’on réunira sur les mêmes bancs, pendant quelques heures par jour, dans des classes de lettres ou de sciences, voire même d’histoire ou de philosophie ; des enfans séparés dès le berceau par les idées et par les sentimens dans lesquels ils ont été élevés, et que tout continuera à séparer hors des classes, dans leurs familles ou dans leurs pensions respectives ? On se plaint que les élèves des grandes écoles de l’état y trouvent comme deux sociétés différentes, suivant qu’ils appartiennent, par leur éducation antérieure, à l’enseignement laïque ou à l’enseignement ecclésiastique. Et cependant le régime de ces écoles leur impose des rapprochemens de tous les instans, non-seulement pour les études, mais pour tous les exercices, pour, tous les actes de la vie. Si les divisions subsistent dans une vie commune, quel espoir de les faire cesser par la simple communauté des classes dans les dernières années de l’instruction secondaire ?

Nous avons connu, comme élève et comme professeur, avant 1850, le régime du certificat d’études. Nous nous rappelons encore ces élèves du dehors qui venaient demander aux collèges de l’état leur certificat-de rhétorique ou de philosophie. Ils étaient un embarras quand ils n’étaient pas un danger. On s’arrangeait pour exiger d’eux le moins possible. Dans les collèges de Paris on les dispensait de toutes les classes du matin. Ceux qui semblaient prendre intérêt à l’enseignement universitaire n’étaient souvent que les instrumens inconsciens ou malicieux d’un espionnage organisé. Ils rapportaient à la maison ou à la pension des notes qui servaient, de base, soit aux attaques de la presse hostile, soit à des dénonciations plus redoutables, envoyées à l’administration supérieure. Ils se plaisaient même avouer le rôle d’agens provocateurs, en posant aux professeurs des questions captieuses que leur avaient dictées leurs parens ou leurs maîtres. Loin d’apporter la paix et l’union, le Compelle intrare du certificat d’études n’avait pour résultat que de mettre l’ennemi dans la place.

Le mal serait infiniment plus grand aujourd’hui, parce que