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et les moyens d’exercer une action directe et efficace sur l’éducation littéraire et scientifique de la jeunesse française. Leurs nouveaux étudians sont presque tous de futurs professeurs de l’enseignement secondaire. Ils ne pourront que porter dans les lycées les bonnes méthodes auxquelles ils se seront initiés près des facultés. C’est indirectement sur les élèves de l’enseignement secondaire que se fera sentir l’influence de l’enseignement supérieur. Il ne verra pas encore, comme dans les autres pays, l’élite de la jeunesse, à quelque profession qu’elle se destine, venir lui demander le couronnement de son instruction générale.

Les questions d’enseignement primaire sont-elles-plus près de leurs solutions complètes et définitives ? Des lois récentes ont consacré la fameuse trilogie : gratuité, obligation, laïcité. Toutefois la laïcité n’est encore qu’à moitié réalisée : les programmes seuls lui appartiennent ; le personnel enseignant lui échappe ou, du moins, l’œuvre de « laïcisation » ne peut se poursuivre que par des mesures individuelles et locales, en vertu du bon plaisir des conseils municipaux et des préfets. La question même de la nomination des instituteurs est toujours pendante. Tout le monde semblait d’accord, il y a quelques mois, pour enlever cette nomination aux préfets : on invoque aujourd’hui, pour la leur laisser, des intérêts politiques dont l’instruction publique subit plus que jamais la dangereuse pression. Rien encore n’est décidé pour les conseils départementaux, qui doivent exercer sur l’instruction primaire une juridiction de première instance. Sur les points mêmes qui semblent acquis, le nouveau régime légal n’a fait, je le crains bien, qu’accumuler les difficultés et les équivoques. La gratuité seule s’est fait assez aisément accepter, mais à quelle condition ? Il a fallu que l’état prît à sa charge, dans les écoles qualifiées encore de communales, la majeure partie des dépenses. Pour l’obligation et la laïcité, c’est un inconnu gros de périls. On ne sait ni jusqu’où iront les exigences des autorités scolaires, ni ce que sera cette « instruction morale et civique » destinée à remplacer « l’instruction morale et religieuse. » Les interprétations les plus contradictoires se font jour, s’autorisant de part et d’autre des déclarations du gouvernement et des rapporteurs devant les deux chambres. On peut soutenir avec une égale vraisemblance qu’il est interdit et qu’il est permis de donner dans les locaux scolaires, en dehors ! des heures de classe, une certaine instruction religieuse et, en classe même, de prononcer le nom de Dieu, de lire ou de faire lire des livres dans lesquels ce nom suspect est prononcé. Le plus sûr sera une extrême circonspection. Une suspicion générale enveloppera les instituteurs. La classe, comme la commune, comme le pays tout entier, sera partagée