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au Salon. On les compterait par centaines. Nous les avons tous passés en revue, à la suite, en une même matinée, et cette dernière étape dans les salles de la peinture nous a semblé particulièrement monotone et fatigante. Quelques paysages dispersés parmi des portraits et des tableaux d’histoire reposent les yeux et l’esprit. Mais une galerie composée uniquement de paysages serait intolérable. On s’y sentirait seul et on s’y ennuierait comme dans un désert. C’est que la nature sans l’homme est inanimée ; c’est aussi qu’en une certaine limite tous les paysages se ressemblent. On aura beau répéter que des milliards et des milliards de feuilles, pas une n’est semblable, il est certain que, pour frapper moins peut-être à première vue, la différence entre un homme et un autre homme est autrement profonde que celle d’un chêne à un tilleul. Les paysages, certes, ont leur expression, il est permis de dire, leur sentiment ; le cours des saisons et la marche du jour donnent à un même site des caractères divers. Mais quand le paysagiste aura exprimé la fraîcheur du printemps, l’ardeur de l’été, le calme de l’automne, la tristesse de l’hiver, ou, si l’on aime mieux, les brouillards d’opale du matin, le soleil éblouissant de midi, le chaud crépuscule du soir, les ombres froides de la nuit, il aura dit tout ce qu’il a à dire. Son clavier n’a que quelques notes ; celui du peintre de figures est infini. Quelles ressources inépuisables, quelle diversité sans bornes dans les attitudes, les mouvemens, les pensées, les sentimens et les passions de l’homme ! — Ces réserves, qui portent sur l’art même du paysage, n’enlèvent rien à la grande beauté de certains paysages et n’atteignent pas dans leur talent les paysagistes contemporains. Si l’on ne trouve pas parmi eux des maîtres comme Rousseau ou des poètes comme Corot, combien possèdent toutes les qualités des coloristes et sont de pénétrans interprètes de la nature !

Le Puits noir, de M. Rapin, est un site ombreux et sauvage. Au pied d’une roche grise aux vives arêtes coule un large ruisseau qui s’enfonce sous la fouillée ; les arbres s’inclinent en voûte comme les arcades au-dessus de la nef d’une église. En regardant cette toile, on sent la fraîcheur tomber sur ses épaules ; les chasseurs feront bien de ne pas s’arrêter au torrent du puits noir après une longue marche. Les vapeurs diaphanes des rosées de printemps, les brouillards humides des soirs d’automne, l’atmosphère saturée d’eau des saulaies baignent aussi l’Étang, de M. Camille Bernier, qui dort sous la frondaison des grands arbres déchirée par une lumineuse éclaircie de ciel ; l’Entrée de la Somme, de M. Schmitt ; la Rosée d’automne, de M. Saintin ; les Foins, de M. Minet ; les Bords de la Marne, de M. Dutzchold ; mais ce jeune peintre se trompe s’il s’imagine qu’il a donné l’illusion d’une ondée en égratignant ses