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de quatre-vingt-dix-neuf ans, à l’expiration desquels l’état redeviendra propriétaire des chemins de fer et pourra en régler seul l’exploitation. Le tiers de ce laps de temps est déjà écoulé, et depuis lors, à diverses reprises, il a fallu réviser les conventions dans un sens toujours favorable, en définitive, à l’intérêt public, puisque le réseau des voies ferrées s’est considérablement accru, que les progrès de l’agriculture, du commerce et de l’industrie ont été incessans, que le trésor de l’état s’est enrichi, tandis que les compagnies concessionnaires profitaient elles-mêmes du mouvement dans une sérieuse proportion. Inutile d’ajouter que les droits de l’état, en tant que surveillance et tutelle, n’ont, dans tout le cours de cette période de quarante années, subi aucune atteinte.

Aujourd’hui, voici qu’un mouvement très vif de l’opinion publique rouvre la question du régime de nos chemins de fer, de ceux d’intérêt général surtout. Des modifications dans les clauses des conventions sont demandées au nom de l’intérêt public proprement dit, c’est-à-dire au nom de la facilité et du bon marché des transports. Pour indiquer le moyen de répondre à ces préoccupations, de satisfaire à ces désirs légitimes assurément, puisqu’en réalité il s’agit plus d’une propriété publique que d’une propriété privée, il suffit de s’inspirer des leçons du passé, de rappeler à l’état ses propres principes tant de fois exposés, mais nulle part mieux que dans la loi de 1842, et de montrer ensuite aux compagnies en quoi consistent leurs devoirs vis-à-vis de l’état, dont elles sont les usufruitiers, du public, dont elles ont à satisfaire les besoins, de leurs actionnaires, dont elles défendent les intérêts ; or ces derniers seraient-ils compromis par de larges concessions plus que par une résistance prolongée aux arrangemens que proposerait l’état ? Nous n’hésitons pas à penser que la politique d’accommodement est la meilleure, et nous répéterons ce que nous disions en commençant : Par ce temps de brusques soubresauts, de recherche passionnée des succès populaires, de déterminations irréfléchies, il ne faut pas exposer des entreprises comme celles de nos chemins de fer à ce qu’une révolution inattendue les frappe en atteignant à la fois la fortune de l’état lui-même, parce qu’un caprice populaire l’aurait décidé en vertu de l’axiome :

: Sic volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas,

que les foules souveraines se plaisent à appliquer sans le connaître et sans s’autoriser du texte latin.


BAILLEUX DE MARISY.