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pendant les quinze dernières années de sa vie les fragmens qui ont formé les deux volumes des Souvenirs de la révolution et de l’empire. La valeur de ces morceaux est fort inégale, tant sous le rapport de la vérité historique que sous le rapport du mérite littéraire. Le Dernier Banquet des Girondins est une sorte de mosaïque dramatique où les proscrits du 31 mai, rassemblés pour la dernière fois à la veille de leur supplice, s’amusent à une conversation supposée que Nodier a composée en juxtaposant plus ou moins adroitement des bribes de leurs discours ou de leurs écrits. De tous les ouvrages de Nodier, cette inutile fantaisie, explicable seulement par le besoin d’exploiter sa réputation en un jour de gêne quelconque, est certainement le plus faible. Les fragmens qui se rapportent directement à la révolution et qui mettent en scène Euloge Schneider, Saint-Just, Charlotte Corday, sont d’une lecture agréable, mais évidemment romantisés et ne méritent qu’une confiance médiocre. Nous croyons, au contraire, qu’on peut en accorder une très grande aux fragmens qui concernent le consulat et l’empire, et aux portraits de quelques-uns des personnages de cette dernière époque, tels que Fouché et Real. Le détail qui ne s’invente pas, l’anecdote qui garde modestement son rang et n’appelle pas à son aide pour s’agrandir l’art du romancier, le cachet d’individualité qui marque chacune de ces silhouettes rapidement esquissées, tous ces caractères et d’autres encore portent témoignage de la sincérité de l’auteur. Reste l’ouvrage considérable intitulé : les Philadelphes, histoire des sociétés secrètes dans l’armée, ou des conspirations qui ont eu pour but le gouvernement de Bonaparte, publié en 1815 et réimprimé en 1830 malgré les nombreuses critiques et protestations dont il avait été l’objet. C’est l’ouvrage dont on s’est le plus autorisé pour mettre en doute la véracité de Nodier, et il est certain que ce bizarre petit livre est un échafaudage d’assertions mal appuyées de preuves positives. Nous ne pouvons cependant nous associer entièrement aux reproches qui ont été faits à Nodier à ce sujet. L’exagération est ici visible, mais non pas le mensonge et le désir de la fraude. Parce que la plupart des faits que relate l’auteur sont restés parfaitement inconnus des contemporains, ce n’est pas une raison pour nier tout à fait leur existence. Il y a eu, soyez-en sûrs, dans le monde, quantité de choses qui ne sont pas parvenues à notre connaissance, parce que, ainsi que celles rapportées par Nodier, elles n’ont eu qu’une existence d’ombre et de mystère, moins que cela, une existence latente et en préparation, et c’est là en particulier le cas de toutes les conspirations avortées ou restées à l’état de projet faute de l’occasion favorable qu’elles espéraient. C’est le sort de telles conspirations de rester éternellement secrètes ou de n’être révélées que par des