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question ; il n’en est pas moins vrai que la lecture en suggère des réflexions de toute sorte qui ont leur portée. On se dit par exemple que la perfectibilité indéfinie est en effet impossible par la raison que notre nature ne pourrait pas la supporter ; étant enfermée dans des limites qui sont les lois physiques auxquelles elle est soumise. Ces lois sont immuables et sans élasticité, et par conséquent la perfectibilité arrivée à un certain degré aboutirait nécessairement à la destruction de notre espèce par la destruction de ses conditions d’existence, à moins qu’elle ne triomphât de ces conditions même par l’abolition de la mort, comme l’ont admis certains adeptes de cette doctrine, auquel cas on ne voit plus comment notre planète serait assez vaste pour contenir une humanité qui s’accroîtrait sans cesse sans jamais plus diminuer. On se dit aussi que la continuité que suppose la perfectibilité indéfinie est un rêve dont l’histoire de l’humanité fait justice, comme on peut s’en convaincre en faisant dans le passé un voyage plus sûr que celui que Nodier fait dans l’avenir. Point n’est besoin d’entasser les siècles pour comprendre que notre espèce ne fait guère que piétiner sur place, et que chaque pas en avant qui l’éloigne de son point de départ est en même temps un pas qui l’y ramène, par un détour plus ou moins long. Quinze cents ans en arrière nous conduisent en plein empire romain, c’est-à-dire à un état de société extrêmement avancé, extrêmement florissant, malgré ses misères, régulièrement organisé et savamment administré, que nous sentons très près de nous en dépit de cet intervalle de temps. Maintenant remontez sept ou huit cents ans plus près de nous, et voyez si, comme le veut la logique, l’état social que vous découvrirez vous paraîtra, comme le voudrait la logique, plus rapproché de vous que le premier. Au lieu d’être plus rapproché de nous de sept cents ans, il en est éloigné de plus de deux mille, car il est plus voisin de la société héroïque chantée par Homère que de la société qui l’a précédé et de celle qui l’a suivi.

« M. Thiers dit toujours qu’il est du Midi, et moi aussi je suis du Midi, mais du Midi d’au-delà des Alpes, » disait Rossi dans un jour de mauvaise humeur contre le célèbre homme d’État, entendant par cette boutade, au premier abord un peu obscure, qu’il appartenait au grand Midi, c’est-à-dire à celui qui, par ses ambitions et ses menées, avait si longtemps gouverné et agité le monde. Nodier disait quelque chose de semblable aux enthousiastes et aux acteurs de la révolution de juillet : « Et moi aussi j’appartiens à la1 révolution, mais à la grande ; je l’ai vue et j’y ai pris ma petite part, et cela était autrement sérieux, autrement redoutable, autrement grand que la courte saturnale dont vous faites si grand état. » C’est beaucoup dans cet esprit qu’il écrivit à différens intervalles