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quelque chose, ne voit pas de raison pour s’arrêter tant qu’il ne s’aperçoit pas à des avantages positifs qu’il a changé de place. Nous sommes tombés dans des mains nobles et pures, mais déjà défaillantes. Le principe juste de la souveraineté du peuple ne peut rester absolument stationnaire à moins qu’il ne manque de logique, et cette logique est trop bonne raisonneuse pour ne pas tirer de conséquences. Elle est d’ailleurs si naturelle qu’elle ne saurait manquer aux révolutions. » Pour s’être fait attendre quelques années, les conséquences que redoutait Nodier n’en ont pas moins fini par se produire, et la révolution de février n’a pas eu d’autre cause que celle qu’il vient d’indiquer : l’impossibilité où est le principe de la souveraineté du peuple de ne pas aller jusqu’au bout de lui-même. Ceux qui sont assez vieux, hélas ! pour avoir vu la crise de 1848 reconnaîtront dans les paroles de notre auteur l’argument populaire même qu’ils ont entendu si souvent alors et par lequel fut renversé le trône de juillet : « C’est le peuple qui a opéré le changement de dynastie en 1830 et qu’y a-t-il gagné ? » Nodier voit très bien les dangers qui menacent le gouvernement nouveau, et, loin de s’en réjouir, comme un partisan aveugle de la dynastie déchue n’aurait pas manqué de le faire, il invite ses amis de la Franche-Comté à se rallier au roi Louis-Philippe. « Vous avez vu le roi, vous devez l’aimer. C’est un digne citoyen, un homme de bonne foi et de bonne volonté qui mérite qu’on s’y rallie. Mais, fût-il un aigle, que penseriez-vous d’un aigle qui a son aire dans la bouche d’un volcan ? Fût-il Napoléon, que pourrait-il contre trois partis dont un seul se subdivise en cent mille ramifications ? » Qui croirait cependant qu’à cet âge de cinquante et un ans qu’avait Nodier en 1831, le conspirateur fantaisiste de l’an vu et de l’an vin se réveilla un instant en lui ? Le rêve de république séquanaise, qui avait occupé son incandescente jeunesse, n’était pas si bien dissipé qu’il n’entretînt encore quelques espérances chez certaines têtes franc-comtoises, et dans l’incertitude où l’on était que le pouvoir central pût longtemps se maintenir, ces espérances avaient abouti à quelques velléités d’agitation séparatiste auxquelles Nodier applaudit et s’associe comme si les événemens de trente années ne lui avaient rien appris. La fondation d’un organe séparatiste fut projetée, et un prospectus de cet organe étant parvenu aux mains de Nodier, il lui donne son approbation en termes qu’il faut absolument citer, ne fût-ce que pour démontrer une fois de plus qu’on est toujours ce qu’on a été une fois. Nous sommes assurés que le lecteur ne trouvera pas trop longue cette citation, que nous abrégerons d’ailleurs autant que nous le pourrons :