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le troisième, tout curiosité érudite et manie fureteuse. L’explication n’était pas à son désavantage, mais peut-être se flattait-il un peu, et est-il moins difficile qu’il ne le disait de ramener tous ces hommes à un seul. Au fond, deux genres seulement sont naturels à Nodier : la nouvelle sentimentale et le conte fantastique, et les mêmes caractères, qualités et défauts, sont communs à ces deux genres.

Il revint au premier dans une suite de récits semi-autobiographiques qui ont formé le volume intitulé : Souvenirs de jeunesse. Vous connaissez l’admirable pièce des Orientales qui a pour titre : Fantômes ; on pourrait dire que les nouvelles de Nodier n’en sont que le développement en prose. Il y évoque les ombres des jeunes filles aimées ou dignes de l’être qui avaient traversé ses jeunes années et s’étaient évanouies comme un son sur la lyre, ou dont l’âme trop tendre avait brisé le corps, comme en s’envolant l’oiseau courbe la branche. Le livre est charmant, seulement ne le laissez pas traîner dans les chambres des demoiselles, pas plus du reste qu’aucun des récits d’amour de Nodier. Ce n’est pas qu’il soit capable de pécher contre certaines bienséances : n’est-ce pas lui qui a dit de l’amour physique « qu’il était extrêmement joli, mais que c’était un sujet sur lequel il ne fallait jamais écrire ? » Il a fait cependant quelque chose de plus dangereux peut-être que la peinture de l’amour physique, il a élevé la sensualité jusqu’à l’âme et l’a en quelque sorte spiritualisée. Oui, la sensualité, en dépit de tous les déguisemens de mysticisme, de platonicisme, de pétrarquisme dont elle s’enveloppe et de la prétendue chasteté qu’elle s’impose. Cette chasteté d’ailleurs n’a jamais dû être bien dure à subir, à voir comme elle est adroite à se créer des compensations et à se payer en plaisirs exquis des contraintes qui sont sa loi. Elle se contente modestement des voluptés à demi innocentes de la passion naissante ou rêvée, mais c’est qu’elle n’ignore pas qu’il n’y a rien dans les voluptés de la passion satisfaite de comparable en finesse aux sensations délicieuses des commencemens et des temps d’apprêt de l’amour. Nodier est incomparable pour décrire le frémissement qu’un frôlement de robe fait courir dans l’être entier, pour dire comment devant la personne aimée le sang peureux se réfugie dans le cœur au risque de l’étouffer d’angoisse voluptueuse, pour peindre les jeux de la lumière sur une aigrette ou une chevelure. Cette sensualité n’est pas seulement raffinée, elle est inventive, elle sait l’art d’ajouter quelque chose au plaisir ou d’en créera l’improviste quelque variété nouvelle. Rappelez-vous le baiser d’Adolphe et de Thérèse. Aubert au travers d’une feuille de rose ; rappelez-vous le moment où la chevelure d’Amélie effleurant la joue de Maxime Odin (pseudonyme de Nodier dans les Souvenirs de jeunesse) il y cache son