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liberté des autres. L’état, tel qu’il doit être dans la société moderne, n’exclut pas apparemment la liberté jusque dans l’enseignement, et les maîtres du jour ne sont pas sans doute les premiers qui aient compris ses fonctions et son rôle. Cette loi même de 1850, dont on parle si souvent aujourd’hui, qu’on réforme d’une façon passablement décousue, elle ne désarmait pas les pouvoirs publics autant qu’on le dit. Elle assurait à l’état le droit d’inspection et de contrôle ; elle exigeait des garanties de capacité et de moralité, elle imposait un stage, et si ces garanties, ces droits ont été insuffisans ou inefficaces, ce n’est pas absolument la faute de la loi ; c’est la faute de ceux qui n’ont pas voulu ou n’ont pas su s’en servir et qui aujourd’hui préfèrent recourir à des procédés plus commodes d’omnipotence. Comment ya-t-on, en effet, remplacer le système de garanties de 1850 ? Que peut être ce certificat d’aptitude pédagogique qu’on prétend imposer aux chefs d’établissemens libres ? En apparence, c’est une garantie qui n’a rien d’extraordinaire. En réalité, c’est une formalité insignifiante et banale qui n’a aucun prix, ou bien ce certificat peut devenir le plus redoutable instrument d’autorité discrétionnaire. On a parlé assez souvent dans cette dernière discussion de la dignité, des qualités morales du chef d’institution libre, de son rôle comme « éducateur ; » on a mis « l’éducateur » partout, c’est le mot à la mode. De quelle façon cependant vérifiera-t-on ce genre d’aptitude ? Comment arrivera-t-on à constater que l’homme comparaissant devant une commission pédagogique est bien cet « éducateur » qu’on demande ? D’ailleurs, en dehors des conditions de capacité et de moralité qui étaient déjà dans l’ancienne loi, jusqu’à quel point a-t-on le droit d’examiner cet homme sur son caractère, sur la manière dont il entend la dignité, sur ses opinions, sur ses tendances, sur les méthodes qu’il se propose de suivre ? On n’ira pas jusque-là, dira-t-on ; qui peut le garantir ? C’est nécessairement l’arbitraire le plus complet, et en d’autres termes, pour appeler les choses par leur nom, c’est sous une forme plus ou moins déguisée le rétablissement de l’autorisation préalable d’autrefois. Ainsi, sous prétexte de réformes et de progrès, voilà où l’on arrive. On retourne en arrière. On efface de l’histoire les revendications de tous les libéraux d’autrefois, ces garanties laborieusement conquises, consacrées par la constitution même de 1848. Depuis plus de trente ans, la liberté de l’enseignement est entrée dans les mœurs, elle a été pratiquée avec succès ; elle est naturellement réclamée plus que jamais aujourd’hui par tous les hommes qui y trouvent une dernière garantie pour leurs croyances. On répond par le rétablissement de l’autorisation préalable telle qu’elle existait au temps passé. C’est comprendre étrangement le progrès, on en conviendra.

Et puis, ceux qui se plaisent à ces innovations, qui ne sont que des résurrections d’arbitraire, se flattent aujourd’hui d’user dans l’intérêt