Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est passée, parce que M. le ministre des finances a su se tirer lestement d’affaire sans aucun secours, sans qu’on ait pu même distinguer si ses collègues marchaient avec lui ; mais il est bien clair qu’une certaine incohérence subsiste, qu’il y a des confusions plus ou moins déguisées selon les circonstances, et déjà il y a plus d’un observateur occupé à chercher d’où viendra la prochaine dislocation. La vérité est que ce ministère qui, au moment où il est venu au monde, avait quelque apparence de force et d’autorité, est resté cependant assez faible parce qu’il n’a pas su se fixer et se donner une politique, parce qu’il se borne à vivre, parce que, sauf sur certains points spéciaux, tout ce qu’il fait se réduit à louvoyer, à négocier sans décourager personne. Ce n’est point absolument une garantie contre les bourrasques. Il y a une autre raison, à part les faiblesses ou les divisions du ministère lui-même, pour que les difficultés puissent se renouveler, c’est l’état moral de la chambre, la distribution ou la disposition des partis. M. le ministre des finances est un homme trop avisé pour se faire illusion, pour se figurer qu’il y ait de longs espoirs à former avec une assemblée où règnent l’esprit de parti dans ce qu’il a de plus étroit ou de plus violent et l’esprit de localité dans ce qu’il a de plus vulgaire, où la masse parlementaire est le plus souvent la dupe de ses passions et de ses préjugés. La chambre des députés s’est empressée récemment de donner un vote de confiance à M. Léon Say qu’elle n’avait pas voulu renverser, qu’elle avait atteint sans préméditation. Elle a désavoué le lendemain sans difficulté ce qu’elle avait fait la veille, elle peut recommencer tous les jours ; elle n’a que des impressions du moment et des instincts.

Cette chambre, avec laquelle il faut compter sans cesse, elle reste, après tout, ce qu’elle a toujours été depuis qu’elle existe : accessible à toutes les influences, ombrageuse jusqu’à la puérilité, faute de lumières, sans défense contre les propositions les plus extrêmes qui s’offrent à elle, prête à se jeter sur tout, sur l’armée, sur la magistrature, sur les finances, sur l’enseignement, sans examiner si elle ne désorganise pas la France sous prétexte de réaliser des réformes douteuses. Elle n’a de fixité que sur un seul point, dans une seule idée, — la haine furieuse, aveugle et passablement mesquine de ce qui, dans le langage des partis, s’appelle « cléricalisme. » Sur ce point elle en est au Voltaire-Touquet, à l’érudition de Dufaure et aux déclamations de 1825. Il suffit de lui montrer un morceau de robe noire pour la rallier. C’est sa passion, et cette passion, elle la satisfait encore aujourd’hui, avec le concours de M. le ministre de l’instruction publique, par ce supplément de loi sur l’enseignement secondaire qui vient d’être discuté, qui n’a vraiment rien de libéral, qui n’est que le complément d’une série de lois conçues, imaginées depuis quelque temps pour faire honneur à un prétendu idéal républicain.