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considération un projet de réforme sur les boissons, n’avait pas entendu faire une démonstration d’hostilité contre un des membres les plus éminens du cabinet ; elle a paru quelque peu étonnée de ce qu’elle avait fait, et le ministre démissionnaire n’a pas tardé à recevoir de toutes parts l’assurance qu’il n’y avait rien de blessant pour lui dans un vote de surprise. M. Léon Say, de son côté, cela est bien certain, ne cédait pas à une vaine susceptibilité : il n’avait nullement la pensée futile de se retirer par un coup de tête, par une sorte de parti-pris ; mais il ne voulait pas être un ministre prêt à dévorer les affronts, et il tenait surtout à ce qu’il fût bien avéré que sa politique financière demeurait intacte. Comment sortir de là ? C’est la commission du budget qui s’est chargée d’intervenir en faisant observer qu’elle ne pouvait travailler à créer un équilibre sérieux pendant que d’autres s’occuperaient à diminuer les revenus publics, en demandant tout au moins la limitation des pouvoirs de la commission qui serait chargée d’étudier la réforme du régime fiscal des boissons. C’était une résipiscence déguisée, une manière de rouvrir un débat qui en définitive a eu pour dénoûment un ordre du jour, par lequel la chambre a témoigné sa « confiance en M. le ministre des finances. « Vainement on a essayé d’équivoquer, de subtiliser, ou du moins d’éviter une manifestation aussi formelle en proposant l’ordre du jour pur et simple, qui n’aurait eu aucune signification, qui aurait laissé subsister tous les doutes. M. le ministre des finances, en déclarant qu’il n’accepterait que l’ordre du jour de confiance, a ajouté avec une spirituelle hardiesse : « Est-ce clair ? » Et M. Clemenceau a répondu : « C’est clair ! » C’était effectivement très clair, et c’est ainsi que M. Léon Say est demeuré maître du terrain. Entré au pouvoir dans des conditions déterminées, avec un programme précis, sagement combiné, il reste au ministère avec le programme qu’il a résumé dès le premier jour en quelques mots : ordre financier, équilibre du budget, sans conversion de la rente, sans émissions nouvelles de titres, sans rachat des chemins de fer, en d’autres termes sans aucun des moyens empiriques ou hasardeux qui ont été proposés jusqu’ici. Il a eu la rare fortune de pouvoir maintenir dans son intégrité, sans rien céder, une politique financière qui en définitive est la politique du cabinet tout entier, et on remarquera que, dans cette crise très vive, très rapide, M. Léon Say est resté seul sur la brèche, que seul il s’est défendu, que seul, par conséquent, il a triomphé sans le concours d’aucun de ses collègues.

Chose curieuse et significative, en effet ! Dans une circonstance où il s’agissait d’une affaire de gouvernement, d’une partie essentielle de la politique du ministère, M. le président du conseil a paru à peine. Il a pu sans doute intervenir pour conseiller à M. le ministre des finances de se résigner, de patienter avec toutes les prises en