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par de bons Français. La semaine dernière, j’écoutais avec ravissement cette Dame aux camélias qui garde, en presque toutes ses parties, l’air de jeunesse, de promptitude, la grâce impérissable des chefs-d’œuvre. Mlle Sarah Bernhardt, revenue parmi nous pour un soir, y montrait, avec les caprices injustifiables d’une virtuose trop nomade, toute la fantaisie heureuse, la variété d’invention, même la justesse d’observation et la sensibilité d’une artiste. Comme tout le public, de la réserve presque rancunière du commencement, je me laissais aller à l’enthousiasme de la fin, par un progrès insensible, à mesure que ce caprice s’achevait en cette fantaisie. Et cependant, lorsque arriva cette terrible scène où pivote le drame, — entre Marguerite et le père d’Armand, — la médiocrité du style, que ne sauve plus en cet endroit l’esprit ou le naturel d’un dialogue haché, cette fâcheuse médiocrité m’apparut si clairement qu’un doute me vint sur l’avenir de la pièce. Doute léger, à coup sûr, et dissipé bientôt ; malgré la faiblesse du style, je crois que l’œuvre durera : « Sa grâce est la plus forte, » comme dirait Alceste ; si la langue n’est pas pure, l’esprit est sincère : autant que par le détail de l’exécution, les œuvres d’art vivent par la sincérité de l’esprit. Cependant, lisez ou même écoutez au théâtre la scène que je signale ; écoutez ensuite la scène de l’amant et du fils, au second acte de Madame Caverlet : vous jugerez qi elles différentes qualités de prose française sont proposées dans ces deux pièces au respect de la postérité ; vous jugerez quelle peut être l’efficace d’un bon style sur un auditoire, en dépit des licences dévolues à l’écrivain dramatique ; vous jugerez enfin si Madame Caverlet n’a pas sa place marquée dans un théâtre qui se nomme Théâtre-Français.

Le Vaudeville, lui aussi, pour finir l’année théâtrale, a fait choix d’une reprise. Sans parler d’un vaudeville de MM. Nus et de Courcy — mais qui n’est qu’une vieillerie nouvelle, — MM. Deslandes et Bertrand ont remonté, avec la Chanson du printemps, de M. Armand Dartois, un Mariage de Paris, de M. Edmond About. Cette comédie, on s’en souvient, est la seule de l’auteur qui ait réussi au théâtre. Il était curieux et peut-être opportun de juger si l’esprit mousseux de cet écrivain, après vingt années et plus, ne s’était pas éventé. Sa bonne humeur nous gagnerait-elle encore ? Pour l’esprit, pour le plus fin, — par momens au moins, — il semble qu’il ait fui ; le grossier demeure encore, mais avec lui la bonne humeur, cette précieuse essence : — la bonne humeur, et c’est assez, avec l’avantage d’un sujet aimablement romanesque, pour que le public ait accueilli l’ouvrage comme un camarade de jeunesse.

Il m’a paru, ce public, un peu maussade, l’autre soir, à la Comédie-Française, pour un léger ouvrage de M. Octave Feuillet, les Portraits de la Marquise, — pastiche, dit la brochure, et l’affiche, moins discrète, ajoute : de Marivaux. Mon éminent confrère, M. Auguste Vitu, a fait