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qui, découverte, comme elle peut l’être à toute heure, les forcerait de condamner ou du moins de juger cette mère, la vue de ces innocens fourvoyés dans cette faute nous est pénible et choquante : un mensonge essentiel empoisonne toute cette pièce.

Elle n’est au contraire que trop véritable, cette comédie qui se moque de tout agrément banal, et c’est par là qu’elle est pénible, — car elle l’est à dessein. Mme Caverlet ou plutôt Henriette Mairson une sainte ? Non, sans doute ; mais qui l’a dit ? Prenez-y garde ; ce n’est pas l’auteur, à qui vous prêtez gratuitement ce propos : — encore un coup, Pasteur n’intervient pas dans ce drame ; — c’est tel ou tel de ses personnages, et d’abord, Caverlet, l’amant. Caverlet dit à Henriette : « Tu es la plus sainte femme que je connaisse après ma pauvre mère. » Hé ! sans doute, il lui sied de parler ainsi, pour rassurer cette âme troublée, qui s’est dévouée à son amour : il a raison d’évoquer ainsi le souvenir sacré de sa mère, car il ne faut pas moins, pour rassurer cette conscience, que lui faire cet honneur. Lui-même n’est pas dupe de son généreux mensonge ; mais lui seul, sur ce chapitre, a le devoir de mentir à cette femme : « Va, murmure-t-il en la suivant du regard, quand le monde entier te condamnerait, il te restera toujours dans mon cœur un sanctuaire où tu seras adorée et vénérée ! » Plus loin, c’est le juge de paix Bargé qui interrompt par ces mots le récit de Caverlet : « Sainte femme, va ! .. » — et qui déclare à son fils qu’Henriette « est la plus honnête femme du monde. » Mais ne voyez-vous pas que ces paroles n’ont qu’une valeur relative dans sa bouche, et, si je puis dire, une utilité de théâtre ? Tout à l’heure Bargé, représentant de l’opinion moyenne, va défendre à son fils d’épouser la fille de cette femme, et le contraste de ses répliques alternées produit un effet comique.

Quand le jeune homme conclut : « Bref, Mme Mairson est un ange, » le vieillard répond : « Ma foi,.. peu s’en faut. » Oui, peu s’en faut, mais ce peu fait justement que Mme Mairson n’est pas la plus honnête femme du monde. Bargé sait très bien que d’autres femmes ont cette chance, — ou même ce mérite, — d’être honnêtes sans amant : c’est l’avantage qu’elles ont sur l’héroïne de l’ouvrage. Même dans les circonstances où l’auteur a placé cette héroïne ? Oui, sans doute, même d’ans cette occasion, quand tout les invite à la faute et d’avance les en absout. Mais celles-là, disons-le, sont un peu plus qu’honnêtes, un peu plus que des femmes : celles-là sont des saints, des anges sur la terre. Une sainte, un ange, c’est justement ce que Mme Mairson n’est pas. Elle est une femme. Liée par la loi française à un homme indigne de l’état de mariage, ainsi empêchée de faire en ce monde son office de femme, c’est-à-dire de créature aimante et gouvernée, elle a rencontré un homme qui lui permettait de continuer cet office : au mépris de la loi, elle est devenue la compagne de cet homme ; aussi, je l’avoue, au mépris de l’idéal. Que Mme Mairsou séparée de son mari, travaillât de ses mains