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premières par le sol, le climat, les matériaux à employer et le but à remplir ; les secondes, par l’usage et par la matière à mettre en œuvre. L’esprit national, le tempérament du pays, les circonstances morales et les faits historiques ne viennent qu’en troisième lieu ; ils déterminent le temps et l’heure aux yeux des archéologues et des critiques de l’avenir, comme les premières leur révèlent le lieu et la race. Ce sont là des conditions fondamentales qu’on oublie trop et que la richesse de la matière, l’habileté prestigieuse de l’ouvrier et la fantaisie brillante de l’inventeur ne doivent jamais faire oublier. Il y a eu un moment dans l’art portugais où les artistes, n’étant point retenus par des traditions sévères, n’ayant point pour les guider dans une marche ascendante quelques-uns de ces maîtres nationaux qui formulent inconsciemment dans leurs œuvres les lois de l’esthétique, devinrent le jouet des événemens et des impressions passagères. Leurs procédés techniques étaient supérieurs toujours, leur habileté manuelle incontestable ; mais la liberté de leur inspiration dégénéra souvent en licence. C’est en vain que dans un objet d’orfèvrerie d’une admirable exécution technique, on cherchait les lignes essentielles de la construction ; elles disparaissaient sous l’ornementation touffue, parasite, qui non-seulement empêchait de comprendre l’ordonnance, mais allait même contre le but et l’usage de l’objet lui-même. C’est le cas de la plupart de ces riches aiguières du XVIe siècle que nous avons vues en grand nombre à Lisbonne, et dont quelques-unes figurent dans les collections Wallace et Spitzer. La juxtaposition, dans les vitrines du palais de Pombal, de quelques objets italiens, allemands et français des beaux siècles destinées au même usage, et tout aussi riches, montre ce que gagne une composition de cette nature à l’intervention de la raison et à la modération dans la répartition des ornemens. Quand la composition est sage et rationnelle, l’ouvrier portugais est si habile, que son œuvre peut être sans rivale dans aucune région : les coupes du genre dit dos Bicos en sont un exemple frappant.

L’Exposition rétrospective de Lisbonne n’aura été pour nous qu’un prétexte à jeter un coup d’œil général sur les arts du pays ; c’est le mérite incontestable de ces entreprises de permettre d’envisager, comme d’une hauteur, tout l’espace parcouru, et d’établir la somme d’invention qui constitue la part d’une nation dans l’ensemble de l’histoire de l’art. Quelques écrivains portugais contestent à leurs compatriotes un style et un genre spécial ; ils disent qu’il n’y a jamais eu de frontières entre les deux peuples qui se partagent la péninsule ibérique ; c’est l’avis d’un savant écrivain, Joaquim de Vasconcellos ; nous croyons, pour notre part, qu’il existe une ligne de démarcation et qu’elle s’établit d’une manière assez nette. Un examen