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toute une bibliographie spéciale sur le sujet qui est à la portée de tous ; mais nous n’aurions garde d’oublier en cette circonstance les Relations et les dépêches de ces sagaces ambassadeurs de la sérénissime, attentifs au moindre geste des souverains étrangers, à quelque point de l’Europe ou de l’Asie que les ait envoyés la seigneurie. Navajero, Tron et Lippomani nous peignent de main de maître le tableau qu’offrait la cour de Portugal de 1525 à 1581.

Les fêtes succédaient aux fêtes ; chaque jour c’étaient des entrées d’ambassadeurs, des réceptions de souverains exotiques qui venaient saluer leurs nouveaux maîtres, menés pour ainsi dire en laisse, avec des chaînes d’or, par les guerriers audacieux qui les avaient réduits au vasselage. Ce fut d’abord le roi du Congo, puis le roi de Bény et, comme contraste, le prince Edouard, frère de la reine d’Angleterre (1486). Le roi de Maroc, Mulez Befageza, et après lui une mission du prince Bemoyn du royaume de Gelof, vinrent saluer le roi de Portugal. L’ambassadeur fut si charmé de ce qu’il vit à Lisbonne qu’il y demeura toute une année et se fit chrétien. Un jour, c’était Monseigneur d’Anjou qui entrait, attiré par la renommée des Portugais, puis un savant allemand, Müntzer. Les Vénitiens, qui jusque-là n’étaient qu’attentifs, devenaient inquiets en face de cette activité maritime, de cette audace et de ce génie ; la découverte du cap de Bonne-Espérance allait leur porter un coup dont la sérénissime ne devait jamais se relever. Dans l’ensemble des causes qui amenèrent la rapide décadence de la puissante république, c’est la cause immédiate et décisive. Venise avait pressenti le fait énorme qui allait changer la face du monde ; elle envoyait ses ambassadeurs, et le souverain les armait solennellement chevaliers. Dom Manoel demandait même à Pasqualijo de tenir son fils sur les fonts du baptême en même temps qu’il lui donnait le privilège d’ajouter à ses armes sa nouvelle impresa, la sphère armillaire, qui symbolisait les découvertes de son règne. Bientôt le Portugal, ignoré jusque-là malgré ses splendides alliances, devenait l’arbitre des grandes destinées, et l’orgueilleux sénat de Venise, menacé par le Turc, demandait aux Portugais leurs galères pour renforcer sa flotte, Dom Manoel, en 1511, est au comble de sa puissance ; le roi d’Angleterre lui envoie une ambassade spéciale pour lui attacher la Jarretière ; les rois d’Ormuz et de Samorin viennent jeter à ses pieds des lingots d’or et des diamans ; puis c’est le seigneur de Langeac qui veut lui rendre hommage, et bientôt toute une escorte de grands seigneurs polonais lui succèdent, appelés par le bruit de cette renommée. C’est le soleil levant, le soleil des Indes, dont les rayons sont d’or ; dans les fêtes publiques, ce ne sont plus des taureaux qu’on fait combattre, mais des éléphans et des rhinocéros, et