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nom parce que la forme dénonce une personnalité connue, un document certain, ou quelque initiale marquée d’une façon authentique en quelque endroit caché vient infliger un nouveau démenti sans réplique. Il faut alors se recueillir un instant, et, discernant au milieu de ces mille monumens divers des tendances variées, des élémens confus, dénaturés, modifiés par des courans nouveaux et tout personnels au pays, reconnaître que, pour tirer quelque fruit d’une telle étude, on doit d’abord feuilleter l’histoire locale, se pénétrer de l’esprit de la nation, étudier ses mœurs et connaître les péripéties de ses annales. L’étude des monumens, en effet, s’éclaire par l’étude de l’histoire, et ceux qui tentent de les séparer risquent fort de passer pour inexacts ; ils se refusent en tout cas un moyen de contrôle et une source d’informations dont l’authenticité est incontestable.

C’est dans la constitution même du Portugal, dans sa situation géographique, son histoire, ses malheurs et ses triomphes, que nous avons cherché le secret de l’hésitation qu’on ressent en face des objets d’art que nous avons sous les yeux. En effet, pour qu’un pays possède un art distinct de celui des pays qui l’entourent, il faut qu’à un certain degré ses mœurs, son caractère, son sol, son atmosphère, sa flore et sa faune, diffèrent de ceux du pays voisin. Il lui faut une croyance, une langue, une littérature, une histoire locale. Si aucun accident géologique, montagne, mer ou fleuve, ne le sépare ; si son ciel est le même, s’il a la même foi, les mêmes mœurs, le même idiome, si l’échange est constant, les deux royaumes politiques peuvent être distincts, mais les peuples seront les mêmes et leurs productions ne pourront différer entre elles que par un accent de terroir qui ne constitue pas un genre, mais une espèce. Une circonstance unique et définitive, au point de départ, pourrait seule expliquer une dissemblance entre deux nations ainsi juxtaposées dans les mêmes conditions de climat, c’est que la race ne fût pas la même, ou que l’une des deux se fût fortement altérée par des conditions accidentelles.


Il n’y a point à prétendre que le Portugal, dans les conditions où il est placé, ait pu échapper à l’influence du pays qui l’avoisine. Cependant, comme les différences de caractère des deux peuples éclatent aux yeux et frappent les moins prévenus, le premier mouvement de celui qui étudie le pays est de chercher dans les origines même la cause de cette anomalie. Les invasions se sont effectuées ici et là dans des conditions qui sont à peu près les mêmes ; mais là toutefois, la séparation politique s’est accomplie de nonne heure, et on s’est habitué depuis des siècles à se considérer comme un peuple