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cette école par Maine de Biran. Ce qu’il vient de résumer peut être à la rigueur donné comme la pensée de Royer-Collard et de Cousin ; mais il nous semble que ce n’est pas celle de Biran et de Jouffroy. Toute la doctrine de Biran consiste au contraire à soutenir que l’âme au moins se connaît elle-même immédiatement et directement par la conscience, c’est-à-dire par l’expérience intime, comme cause et comme substance ; et Jouffroy, arrivant de son côté, et par ses réflexions personnelles, aux mêmes conclusions, terminait son célèbre mémoire sur la distinction de la psychologie et de la physiologie par ces mots : « Il faut donc rayer de la psychologie cette proposition consacrée : « L’âme ne nous est connue que par ses modifications. » Enfin, depuis Biran et Jouffroy, toute l’école spiritualiste française a accepté cette doctrine. Le prétendu dédoublement dont il s’agit ne s’appliquerait donc à la rigueur qu’au monde extérieur. La moitié de la réalité et la plus importante, la réalité spirituelle, qui est soustraite. Toute la question ne porte donc que sur les substances extérieures, sur les corps, et, pour poser cette question avec précision, il faudrait dire : La substance corps est-elle aperçue directement et immédiatement aussi bien que la substance âme ? Les sens sont-ils, aussi bien que la conscience, des fonctions intellectuelles ? Ce qui est externe se perçoit-il de la même façon que ce qui est interne ? Or si l’on pose la question sous cette forme précise, il en ressort immédiatement des difficultés dont l’auteur ne paraît pas s’être assez préoccupé.

Sans insister sur ces réserves dont on entrevoit l’importance, disons que M. l’abbé de Broglie s’élève avec M. Taine contre ce qu’il appelle « la dichotomie de la réalité. » D’après loi, il n’y a qu’une seule réalité à la fois substance et phénomène : « Nous ne doublons pas l’univers, dit-il, parce que nous ne l’avons pas dédoublé. Sans doute les apparences sont la surface de l’univers ; les substances et les causes en sont le fond réel (concession qui, pour le dire en passant, ressemble singulièrement à la doctrine combattre), mais ce fond se prolonge jusqu’à la surface. » L’expérience atteint l’un et l’autre, à la fois le réel et le phénoménal ; la partie cachée ne diffère pas de la partie apparente ; elle est seulement plus loin de l’observation. Par substance il faut entendre, non pas une entité métaphysique invisible, mais un être réel et concret, une chose on une personne. Tout homme, tout animal, tout corps distinct d’un autre corps, est une substance. Les substances sont des êtres individuels particuliers, existant dans un temps et dans un lien donné. Ainsi définies, il est évident qu’elles tombent sous le sens externe, car l’expérience atteint les corps, et les corps sont des substances. D’un autre côté, l’expérience interne atteint notre être propre, notre