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ne sont pas là des projets de lois, même embryonnaires, que je me permets de formuler ici. Je n’ai d’autre ambition que d’éveiller l’attention des hommes compétens qui aiment leur pays et qui voudraient empêcher la population française de décroîtra. Or cette décroissance est imminente, et nous la verrons dans un avenir prochain, si nous ne parvenons pas à faire des lois, grâce auxquelles il y aura avantage et non calamité à posséder une nombreuse famille.

Il faudrait même adopter des réformes plus radicales encore. Puisqu’il est acquis que l’infécondité est volontaire, il faudrait entraver cette volonté, et, pour cela, assister efficacement et d’une manière absolument régulière toute famille nombreuse, non sous la forme d’un secours distribué par un bureau de bienfaisance, mais sous la forme d’une rente annuelle, si petite qu’on la suppose, servie pendant quelques années, au sixième, au septième ou au huitième enfant d’une même famille. Nous ne discutons pas ici les moyens d’application, ou les limites dans lesquelles il faudrait agir, ou les méthodes à employer. Ce n’est pas là notre affaire. Nous ne défendons ici que le principe, et ce principe est la justice même. Une loi de la première république décrétait, je crois, que le sixième fils serait élevé aux frais de l’état. C’était une institution excellente, qui, malheureusement, est tombée en désuétude. Il faudrait remettre en vigueur cette loi et en faire d’autres dans le même sens. Celui qui donne au pays beaucoup d’enfans rend service à sa patrie, et il faut que ce service soit récompensé, ou plutôt compensé, par un allégement des charges. Quoi que l’état puisse faire, il y aura toujours plus de charges à élever une nombreuse famille sans payer d’impôts qu’à ne pas élever une famille et à payer beaucoup d’impôts. Croit-on que l’entretien d’un enfant n’exige pas, pendant dix ans au moins, de durs sacrifices pécuniaires pour le père de famille ? Si l’état lui sert pendant dix ans une rente de 50 francs, qui osera prétendre que cette petite somme sera équivalente à ce que coûtent annuellement la nourriture et l’éducation d’un enfant ?

Encore une fois, nous ne défendons ici que le principe, et non la méthode. Il ne s’agit que d’une répartition différente de l’impôt. Or ne pourrait-on compenser cette augmentation des dépenses pour l’état, ou cette diminution des recettes par un impôt en sens contraire ? Le citoyen français qui n’a pas de famille et reste célibataire, par cela même a des charges moins lourdes. Pourquoi ne le frapperait-on pas d’un impôt spécial ? Pourquoi ne pas imposer plus lourdement les familles stériles ? ou même les familles qui comptent peu d’enfans ? L’impôt n’est pas une punition : ce n’est pas une amende qu’on fait payer à tels ou tels individus parce qu’ils n’ont pas pu ou voulu se marier, parce qu’ils n’ont pas pu ou voulu avoir