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qu’il n’y a pas de relation formelle entre leur richesse et leur fécondité. Les départemens riches (le Nord, par exemple) ont tantôt une très forte natalité, tantôt une natalité très faible (Calvados). Les départemens les plus pauvres (Hautes-Alpes, Basses-Alpes) ont une natalité faible. Bref, il n’est pas possible d’établir une relation entre la richesse d’un département, et sa fécondité ou son infécondité.

Quelques écrivains ont pensé que, si la population française est ainsi amenée à se limiter, c’est à cause de la densité trop grande de la population. Le sol français, disent-ils, ne peut nourrir beaucoup plus d’hommes que ceux qui vivent actuellement en France : il se fait alors entre l’homme et le sol une adaptation instinctive et fatale et l’équilibre tend à s’établir entre la productivité de la terre et le nombre des hommes qu’elle peut nourrir. Mais cette opinion ne peut guère être soutenue. En effet, les départemens les plus féconds : le Nord, le Pas-de-Calais, les Côtes-du-Nord, le Finistère, sont précisément ceux où la population rurale est le plus dense, tandis que dans d’autres départemens, peu prolifiques, comme l’Orne, le Lot-et-Garonne, le Gers et le Var, la population est très clair-semée. Si en Russie et aux États-Unis la densité de la population est moins grande qu’en France ; dans d’autres pays, comme l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, la population est beaucoup plus dense que chez nous.

La vérité, il faut oser la voir et la dire, c’est qu’en France, dans les villes comme dans les campagnes, il y a un excès de richesse et un défaut de moralité. Il ne s’agit pas ici de cette prudente moralité qui reconnaît pour barrière les articles du code civil ou du code pénal, mais de cette haute moralité qui fait que l’intérêt particulier est sacrifié à l’intérêt général. L’aisance, le luxe, la richesse, s’infiltrant peu à peu dans toutes les régions, même les plus pauvres, de notre beau pays de France, ont joué le rôle d’un dissolvant. Le goût pour le noble métier des armes a disparu. Il n’est plus d’autre souci que de bien vivre avec un maximum de luxe et un minimum de travail. Voilà pourquoi on redoute les nombreuses familles, qui exigent plus de travail et moins de luxe. Une postérité nombreuse est une calamité contre laquelle on sait trop bien se prémunir. Jadis il n’y avait que les bourgeois des villes capables de mettre en pratique ces règles de conduite ; mais le mal a progressé. Il s’est répandu, avec la richesse, dans les campagnes, en sorte que maintenant les paysans font comme les bourgeois. Ils croient s’enrichir à n’avoir que peu d’enfans. L’exemple est venu de la Normandie, et, peu à peu, comme un fléau plus destructif que la peste ou le choléra, le mal va gagnant les plus belles provinces de la France : le Languedoc, la Provence, la Champagne, la Bourgogne.