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campagnes. La natalité devrait donc y être très forte, et la mortalité très faible.

Voilà donc ce qu’il faut constater, et pour le plus grand dommage de la fécondité française : les populations rurales, celles qui sont le plus fécondes, émigrent vers les villes et deviennent par là même infécondes ; la population totale de la France s’accroît lentement, tandis que la population rurale, non-seulement ne s’accroît pas, mais diminue, et cette diminution devient chaque année de plus en plus marquée[1].


III

Ce serait, à la vérité, un travail bien stérile que d’avoir indiqué le mal sans en rechercher l’origine. Nous devons donc essayer de déterminer la cause ou les causes qui font que la fécondité est moindre en France que dans les autres pays.

Éliminons d’abord quelques-uns des argumens qu’on a invoqués jusqu’ici. D’abord la vigueur physique de la race française ne paraît pas pouvoir être incriminée. Assurément les guerres terribles du commencement de ce siècle ont épuisé la nation. La gloire que Napoléon Ier nous a conquise a été chèrement et trop chèrement achetée. Un million de jeunes gens, les plus vigoureux et les plus vaillans des Français, ont péri par le fait des grandes guerres, en Espagne, en Russie, en Allemagne, en Italie, et ç’a été certes au détriment des générations qui ont suivi. Mais, à tout prendre, il y a eu chez les autres peuples de l’Europe, à ces époques néfastes, des hécatombes semblables. D’ailleurs, si la mort de tous ces jeunes soldats était la raison d’être de notre dégénérescence, la France devrait être actuellement en voie de réparation, et non d’infécondité croissante, et on ne s’expliquerait pas la diminution progressive de la natalité. Rien ne prouve l’appauvrissement de la race. Ni la force physique, ni la taille, ni la puissance intellectuelle, n’ont diminué en France d’une manière sensible. Pourquoi veut-on que l’aptitude à avoir des enfans se soit amoindrie ? De fait, la fécondité est moindre ; mais tout semble démontrer que cette diminution ne tient pas à l’impuissance physique des individus.

L’alcoolisme ne saurait non plus être invoqué. Il y a plusieurs nations en Europe, l’Irlande, par exemple, et la Russie, où

  1. M. Le Fort, en 1867, ici même, avait indiqué cette dépopulation des campagnes. Depuis 1867 le mal n’a fait qu’augmenter. On trouvera, discutées dans le travail de mon savant maître, bien des questions sur lesquelles, je ne saurais insister, à savoir la proportion relative des adultes et des enfans et le relèvement de la vie moyenne.