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c’était un parlement irlandais se réunissant, comme autrefois, à College-Green, un parlement dont O’Connell serait le leader incontesté, un parlement qui ne ferait que traduire en projets de lois et mettre à exécution les idées et les plans du grand Irlandais, de celui que ses partisans comme ses adversaires, appelaient le roi sans couronne.

Pour atteindre ce but, O’Connell déploya toutes ses ressources d’esprit, toutes ses habiletés de stratégie. Il fut éloquent, insinuant, menaçant ; il fut ce qu’il avait été dans ses meilleurs jours. Il échoua cependant devant ce simple obstacle : la nécessité où il se trouva placé, à un moment donné, de recourir à l’insurrection ou de reculer. O’Connell avait toujours été opposé à l’emploi de la force matérielle. Dès sa jeunesse, il avait considéré l’agitation légale comme la meilleure, ou plutôt la seule arme à employer dans les luttes politiques. C’était par l’agitation légale qu’il avait obtenu l’émancipation des catholiques et les autres réformes, dont l’Irlande lui était redevable. C’est par l’agitation légale qu’il espérait arracher au gouvernement le rappel de l’union. Sous l’empire de cette idée, il avait fondé, en 1840, une ligue sous le nom de National loyal Repeal Association ; sous l’empire de cette même idée, il organisa en 1843, une série de meetings gigantesques destinés à provoquer dans toute l’Irlande une vaste agitation. Il comptait tellement sur le succès de cette campagne qu’il l’annonça d’avance à ses compatriotes comme certain et comme prochain ; l’année 1843, disait-il, s’appellera la grande année du rappel.

Au début, tout parut marcher à souhait. Le premier meeting se tint le 16 mars à Trin, O’Connell y parut escorté de deux de ses aides de camp politiques, Barrett et Steele ; trente mille personnes se réunirent en plein air pour écouter la voix, pour contempler les traits du libérateur. Deux mois après, nouveau meeting à Mellingar. L’agitation grandissait, ce n’étaient plus vingt-cinq mille, mais cent mille auditeurs qui étaient accourus. Ce n’étaient plus seulement des députés et des hommes politiques, c’étaient aussi des évêques qui entouraient O’Connell. L’un d’eux, Higgins, évêque d’Ardagh, prit la parole pour dire que tous les évêques catholiques d’Irlande étaient des repealers. Une pareille profession de foi, dans la bouche d’un prélat, devait avoir un immense retentissement. Pendant ce temps, un des organes du parti du rappel, la Nation, publiait des articles extrêmement violens, dans lesquels elle rappelait, chaque jour les souvenirs de l’insurrection de 1798. En cela, elle dépassait évidemment la pensée d’O’Connell, qui s’était toujours exprimé avec sévérité sur le compte, des Emmett, des Fitzgerald, des Wolfe-Tone et autres héros de cette insurrection. Déjà commençaient à se manifester les deux tendances opposées, qui étaient destinées à provoquer une scission dans le parti du rappel. Cependant O’Connell