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irlandaise, la moyenne des élus protestans depuis 1829 jusqu’à nos jours, est de 60 pour 100. Plus de la moitié des sièges parlementaires dont dispose l’Irlande est restée par conséquent entre les mains de la portion la moins nombreuse, mais la plus riche de la population, tant est puissante encore l’influence de la grande propriété, tant est vivace encore, malgré les assauts qu’elle a subis et les atteintes qu’elle a reçues, l’œuvre d’Elisabeth, de Cromwell et de Guillaume III !

Les catholiques d’Irlande avaient obtenu l’égalité politique ; ils attendaient toujours l’égalité religieuse. Sur les huit millions d’âmes dont se composait alors la population de l’île, un dixième seulement appartenait à la communion anglicane. Il était pourvu avec une générosité sans limites aux besoins spirituels de ces 800,000 âmes privilégiées. Le clergé anglican se composait de quatre archevêques, dix-huit évêques, vingt-deux chapitres, quatorze cents desservans bénéficiaires, sans parler d’un certain nombre de desservans salariés. Un grand nombre de paroisses ne comptaient pas cinquante fidèles ; quelques-unes n’en comptaient pas un seul en dehors du desservant. Ce clergé si peu occupé n’en était pas moins largement doté. Le revenu total de l’église établie était de plus de 800,000 livres sterling (20 millions de francs), provenant de trois sources principales : la dîme (650,000 livres environ), le produit des biens de mainmorte (150,000 livres), une taxe spéciale appelée le cens ecclésiastique (60,000 livres). Ce revenu net de vingt millions représentait un revenu brut de plus de trente millions. La dîme, en effet, se payait généralement en nature : tout le monde sait combien ce mode de perception est onéreux. Les biens de mainmorte étaient mal administrés et mal affermés. Dans d’autres mains que celles du clergé ils auraient certainement rapporté le double ou le triple.

La plus lourde de ces charges, la dîme, pesait presque exclusivement sur le paysan, c’est-à-dire sur le catholique. Or pour l’Irlandais catholique l’évêque anglican et le ministre anglican étaient les complices de la tyrannie étrangère ; l’église établie était la trace vivante de la conquête, la marque ineffaçable de la servitude. Ce n’étaient pas seulement ses croyances religieuses, c’étaient ses passions nationales et ses haines de race qui se révoltaient lorsqu’on venait réclamer de lui, pour l’entretien d’un culte abhorré, une part de ses misérables récoltes. En Angleterre, la dîme était payée par de riches fermiers qui la faisaient entrer en ligne de compte dans les frais généraux de leur exploitation, ; en Irlande, elle était répartie entre un nombre infini de paysans besogneux. Dans certaines paroisses le produit de la dîme était évalué en moyenne à 9 pence (18 sous) par contribuable. Qu’on juge de ce que devait être le revenu de ces malheureux. En Angleterre, l’église anglicane n’était