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mettre sur leurs traces. Ce crime est assurément effroyable, et il prend encore, s’il est possible, plus de gravité, ou une signification plus saisissante, par les circonstances dans lesquelles il est accompli, par les conséquences qu’il peut avoir pour l’Angleterre comme pour l’Irlande.

Quelle était en effet la situation à la veille de la catastrophe de Dublin ? Elle était certes des plus singulières, des plus délicates. Depuis un an, on a employé tous les moyens à l’égard de l’Irlande. On a usé des mesures libérales par le Land-Act, on a eu recours aux mesures répressives par le bill de coercition, par l’incarcération des principaux chefs de la ligue, M. Parnell, M. Dillon, M. O’Kelly et bien d’autres. On n’a réussi à rien, et récemment le premier ministre d’Angleterre, M. Gladstone, avouait devant le parlement l’échec de la politique qu’il avait suivie. Non-seulement il faisait cet aveu avec l’ingénuité d’audace qui est dans sa nature ; il allait bien plus loin, il donnait spontanément le signal d’une évolution complète de politique. Puisque tout ce qu’on avait fait n’avait pas réussi, il fallait essayer autre chose, pensait-il, et il l’essayait effectivement. Il se disposait à étendre les mesures agraires au-delà de toutes les espérances des Irlandais. Il mettait en liberté les chefs de la ligue momentanément emprisonnés, M. Parnell, M. Dillon et tous les « suspects, » comme on les appelait. Il faisait tout cela sans craindre de paraître se désavouer lui-même, au risque d’avoir à se séparer de quelques-uns de ses collègues, notamment de celui qui était le plus engagé, du secrétaire pour l’Irlande, M. Forster, qui après avoir pris depuis un an toutes les responsabilités, n’a pas voulu se prêter à un changement de front qu’il n’approuvait pas. M. Forster s’est retiré, et il n’a point hésité à déclarer devant le parlement que, s’il se retirait, c’est qu’il ne croyait pas le moment des concessions venu, c’est qu’il ne jugeait pas opportun de mettre en liberté sans conditions les chefs de l’agitation irlandaise. En un mot, M. Forster est resté jusqu’au bout fidèle à la politique de forte vigilance, même de coercition qu’on abandonnait, tandis que M. Gladstone s’engageait de plus en plus dans une expérience qui n’a pas laissé de surprendre ou d’inquiéter beaucoup de ses partisans. Le premier ministre, en mettant en liberté M. Parnell et ses amis, n’avait point évidemment exigé d’eux des engagemens publics auxquels ils ne se seraient pas d’ailleurs prêtés ; il est bien clair cependant qu’il connaissait leurs dispositions, qu’il croyait pouvoir jusqu’à un certain point compter sur eux pour l’accomplissement de ses nouveaux desseins, et pour le reste il se fiait à la générosité de ses intentions ; C’est comme représentant de cette politique de conciliation et de paix que le frère de lord Hartington, lord Frederick Cavendish, venait d’arriver à Dublin, et c’est justement à cette heure qu’a éclaté