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manière satisfaisante ces deux problèmes. Si elle voulait être conséquente avec elle-même, elle les écarterait tout simplement. M. Littré s’y est essayé plusieurs fois ; il y a complètement échoué. Certes, ce n’est pas lui que nous accusons, c’est l’instrument insuffisant qu’il emploie, c’est la méthode trop étroite dans laquelle il s’enferme par système, avec une sorte d’obstination invincible et d’avance condamnée à rester stérile.

La psychologie d’abord. M. Littré avait autrefois admis le mot et même, comme nous l’avons montré ailleurs, il avait réclamé la chose dans son ouvrage sur Auguste Comte. Plus tard, il s’aperçut facilement que, par suite des habitudes du langage, ce mot prêtait à une sorte d’équivoque spiritualiste. Or, comme il récusait l’observation par la conscience qui n’est pas comprise dans l’ordre des faits sensibles, il finit par répudier ce terme en lui substituant la locution physiologie psychique ou, plus brièvement, psychophysiologie, indiquant par le terme psychique ce qui est relatif aux sentimens et aux idées, et, par physiologie, la formation et la combinaison de ces sentimens et de ces idées en rapport avec la constitution et la fonction du cerveau. Mais les termes qu’on change ne changent absolument rien à la réalité, et les choses peuvent répondre : « Qu’on nous appelle du nom que l’on voudra, cela ne nous empêchera pas d’être ce que nous sommes. » M. Littré a beau nous dire que la description des phénomènes psychiques, avec leur subordination et leur entraînement, est de la pure physiologie, l’étude d’une fonction et de ses effets ; que les faits intellectuels et moraux appartiennent au tissu nerveux ; que le cas humain n’est qu’un anneau, le plus considérable, il est vrai, d’une chaîne sans limite bien tranchée, jusqu’aux derniers animaux[1], il n’y a là qu’une série d’assertions ; celui qui les émet sans preuve ne nous convainc pas ; je dirai presque qu’il ne l’essaie pas dans les pages très brèves qu’il a écrites à côté plutôt qu’au sujet de cette importante question. Il n’a pas démontré, ce qui eût été essentiel, l’impossibilité prétendue de la psychologie subjective, de l’observation de l’esprit par lui-même (une de ces objections qu’on renouvelle tous les quinze ou vingt ans pour le besoin de causes nouvelles et qui n’acquièrent pas plus de valeur ni de prix en vieillissant). Il ne démontre pas davantage qu’on puisse se passer, dans toutes les observations anatomiques ou physiologiques du cerveau, d’une psychologie préalable, nécessaire à l’interprétation de ces expériences et sans laquelle il paraît impossible d’établir une distinction quelconque de fonctions entre les divers organes du cerveau, et de rien comprendre à la différence des mouvemens qui se

  1. La Science au point de vue philosophique, p. 308.