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Auguste, c’est le même zèle qui l’inspire, la noble flamme d’un grand cœur en propagande d’amitié.


« Rome, 26 juin 1834.

«… Mon cher Thomas me fait connaître les chefs-d’œuvre les plus admirables. C’était une nouvelle porte ouverte aux sensations les plus délicieuses ; mais ce bonheur va bientôt cesser. Dans quelques mois, il me faudra dire adieu à l’ami, à son beau talent et à sa musique… Ce bon Thomas, si tu savais quelle naïveté, quelle bonté de cœur et quel sentiment d’artiste ! Je serais bien étonné s’il ne produisait pas un jour quelque chose de beau… Tout le monde l’aime, l’estime, M. Ingres par-dessus tous les autres. J’espère que, malgré Paris et son tumulte, il ne m’oubliera pas et que, lorsque tu le connaîtras, tu l’aimeras aussi[1]. »

J’emprunte cette correspondance aux divers travaux si remarquables de M. Henri de Laborde sur Ingres et sur Hippolyte Flandrin, et je ne veux pas clore mes citations sans y joindre encore un passage où l’auteur nous montre réunis dans le suprême adieu ces deux noms que la jeunesse et le talent avaient fraternellement rapprochés. « C’est dans son voyage de Lyon à Rome fait en compagnie de M. Ambroise Thomas, qui venait de remporter le grand prix de composition musicale, que Flandrin se lia avec le futur auteur du Caïd et du Songe d’une nuit d’été d’une amitié bien tendre jusqu’à la fin et à laquelle Flandrin, dès les premiers temps, dut la connaissance et l’amour des plus beaux chefs-d’œuvre de la musique. Que de fois, à la villa Médicis, le soir, après une longue journée de travail, ne se délassa-t-il pas auprès de son ami en écoutant celui-ci interpréter sur le piano les créations des grands maîtres de l’Italie et de l’Allemagne ! Hélas ! trente ans plus tard, dans l’église de Saint-Germain des Prés, les mêmes chants retentissaient encore, mais ils ne s’élevaient plus qu’autour d’un cercueil. Par les soins de M. Ambroise Thomas, les morceaux de musique religieux qui avaient le plus souvent charmé l’âme du noble peintre composaient la messe funèbre qu’on célébrait pour la recommander aux miséricordes de Dieu, et lorsqu’avant le commencement du service les orgues firent entendre cet andante de la symphonie en la de Beethoven que Flandrin avait tant aimé, c’était sous la main pieuse de l’ami des anciens jours que résonnait en face de la mort ce souvenir des chères émotions de la jeunesse et de la vie. »

  1. Lettres et Pensées d’Hippolyte Flandrin, 1 vol. in-8o, 1865, p. 32 de la préface.