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enchanteresse des violons, l’entendez-vous attaquer l’allégro : « Va, je serai ton guide ! » Musique, geste, accent, ce serait sublime ; Gluck en tressaillerait de joie dans l’Elysée, Ingres aussi !

C’eût été grand miracle qu’à propos de Françoise de Rimini, on ne nous parlât pas un peu du wagnérisme et que le chef de l’école française n’encourût point à son tour le reproche d’imiter l’homme de Bayreuth. Resterait à s’expliquer là-dessus. Imiter Wagner, que veut-on dire par là ?

C’est imiter quelqu’un que de planter des choux !


Et, par le temps qui court, tout musicien qui fait des enharmoniques plante des choux. Autant vaudrait prétendre alors que M. Ambroise Thomas copie Verdi ; car si, pour sa contexture, son accompagnement et ses progressions nerveusement ascendantes, la belle phrase de Francesca et Paolo : « Notre douleur se renouvelle, » pourrait être de l’auteur de Lohengrin, il est certain que l’auteur d’Aïda aurait également des droits à réclamer sur tel agitato superbe d’un rythme passionné résultant d’une suite de quatre doubles croches par temps, avec un silence sur le premier quart de temps. Rien n’empêcherait non plus les mécontens de venir au nom de Weber et de Meyerbeer argumenter contre le dialogue du finale du second acte : « Quelle est votre famille ? » et d’attribuer à l’influence du style chevaleresque d’Euryanthe et de l’Africaine toute cette noble phrase qui se déploie si largement au-dessus du flot des violoncelles. Supprimons Euryanthe et l’Africaine et peut-être aurons-nous du même trait rayé ce genre de beautés ; mais ne vaudrait-il pas mieux franchement reconnaître là des acquisitions modernes que chacun est libre d’employer ? On oublie trop d’ailleurs que le wagnérisme est un corps de doctrine, une dramaturgie et non pas un répertoire de citations à l’usage des chercheurs de formules instrumentales. M. Ambroise Thomas peut à l’occasion emprunter à Richard Wagner tel mode d’expression qui se présente, mais il se garde prudemment de toucher à la doctrine et reste imperturbable dans la tradition de l’opéra français. L’horreur du vulgaire le possède bien plus que le besoin d’innover ; vous le verrez s’interrompre net, aimant mieux paraître écourté que symétrique, et s’il manque souvent d’invention, nul comme lui ne s’entend à mettre à profit le trésor commun des idées.


VI

Ceux-là se trompent qui l’accusent de se tourmenter vers l’effet ; son art, au contraire, est, ainsi que sa personne, d’une très grande