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quand elle se rencontre, n’est jamais que de convention. S’agit-il d’un triomphateur : les trompettes nous l’annoncent ; d’une apparition céleste ? voici les harpes ; mais c’est à peu près tout ce que le compositeur nous accorde. Je me demande s’il n’y aurait point là du parti-pris : M. Ambroise Thomas affectionne la demi-teinte, il aime à faire gris, et puis, que voulez-vous ? on a tant abusé de la couleur depuis Weber et Meyerbeer ! Quoi qu’il en soit, l’esprit du temps réclame davantage ; l’entrée de Malatesta, vers la fin du premier acte, est héroïque ; le chant nuptial, au troisième acte, est un morceau d’un art achevé ; mais tout cela compte surtout musicalement, et le beau musical, au théâtre, ne suffit pas. Les personnages marchent dans leurs ombres, Paolo et Malatesta pourraient, en les transposant, chanter les mêmes airs à tour de rôle. Quant à Francesca, nous attendrons, pour juger de sa physionomie, qu’une actrice digne de figurer à l’Opéra nous la révèle. Il n’y aurait donc que le page Ascanio, et l’on sait ce que vaut comme rendement psychologique et comme nouveauté un page d’opéra. La belle voix de Mlle Richard et le talent qu’elle montre font regretter que le personnage de Françoise ne lui soit pas échu ainsi qu’il en avait été question un moment. On réplique à cela que le rôle était écrit trop haut, qu’il aurait fallu transposer. Bienheureuse transposition qui eût amené à l’orchestre quelques dièses parmi tant de bémols dont la forêt est obscurcie ! Dénonçons aussi l’invasion de la plante dite : arioso. Malatesta seul en a tout un bouquet à sa cuirasse ; trois ariosos pour un seul homme et pour voix grave, y songeait-on ? La faute en remonte à M. Massenet, dans le Roi de Lahore, d’autres en accuseront Herold, dans Zampa, et cette complicité pour le succès qui se reproduit toujours entre un auteur et son interprète. Cherchons l’effet, mais ne jouons pas au berger fidèle sous le harnois d’un condottiere du XIVe siècle ; ouvrons notre âme et notre voix aux grandes mélopées : « Je ne connais qu’un étendard ! » et laissons leur roucoulement aux pigeons. Pénétrer plus avant dans le détail de l’exécution nous conduirait trop loin, mais nous reviendrons sur cette interprétation, qui n’est, en somme, que de second ordre et ne saurait se comparer avec ce que fut l’interprétation d’Hamlet sous l’administration de M. Perrin aux beaux jours de Christine Nilsson et de M. Faure. C’était, en vérité, bien la peine de tant se démener et d’aller jusqu’à Moscou recruter des virtuoses de fantaisie quand on avait sous la main la femme du rôle ; à la place de Gabrielle Krauss, je n’oublierais jamais un tel affront, et même j’en voudrais tirer la plus éclatante vengeance. Savez-vous ce que je ferais : j’irais demain trouver M. Ambroise Thomas et je lui dirais : « Maître, accordez-moi une grâce, confiez-moi le rôle de Virgile. » La voyez-vous apparaissant sur cette ritournelle