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Le rideau se lève à peine et déjà le baiser tragique est donné, mais, alors, que devient le dénoûment ? Ce qu’il sera, nous le saurons plus tard : la répétition exacte de cette première scène : même décor, mêmes accessoires, encore le manuscrit et l’oratoire, — un oratoire où traînent des histoires de galanterie ! — les choses y sont à ce point qu’il semble que les deux amans « le font exprès. » Vous croyez qu’ils lisent ? Nullement, ce livre n’a plus rien à leur apprendre, ne l’ont-ils pas mis en action ? S’ils lisent, c’est pour se donner une contenance en attendant que Malatesta vienne les tuer, et leur malchance dramatique est telle que l’épée même de Malatesta, au lieu de les frapper au cœur, s’enfonce vaguement dans un nuage.

Cependant, le musicien veille à la situation, et, grâce à lui, s’opère le sauvetage. Le duo du premier acte entre Francesca et Paolo va se relier au quatrième acte par une sorte de fil harmonique dont l’électricité traverse toute la partition. Écoutez, retenez cette phrase du baiser, elle est l’âme de l’ouvrage. Peut-être, à ce titre, l’eussions-nous souhaitée plus entraînante et rappelant davantage pour l’invention le : « Tu l’as dit » des Hugaenots, n’importe, cet allegro suffit largement ; passionné avec mesure, un peu gris de ton, et finissant, comme le duo de l’Africaine, sur un extatique et voluptueux morendo. Cette phrase, déjà saisie au passage dans le prologue, sera reprise par l’orchestre au quatrième acte, et vous l’entendrez même en paradis. Franz Liszt, dans sa symphonie sur Dante, lorsqu’il arrive au Gloria in excelsis final, emploie le style à la Palestrina. On s’étonne que M. Ambroise Thomas n’ait pas eu une idée de ce genre. Du moment que les auteurs et le directeur s’étaient mis d’accord sur ce point, très sujet à controverse, que les deux amans que nous venions de voir trépasser en flagrant délit d’adultère, n’en seraient pas moins canonisés d’office, il eût fallu nous peindre, non pas une apothéose quelconque, mais le paradis que Dante a vu. L’auteur de Françoise de Rimini pouvait ignorer l’abbé Liszt, mais comment ne s’est-il pas souvenu de Mendelssohn et de la symphonie-cantate ? Il y avait là des élémens superbes : un hymne du rituel, le Magnificat par exemple, eût servi de thème, et, les harpes avec les flûtes composant le fond d’or du tableau, on aurait eu, le dirai-je ? un Giotto musical, et, pour le Magnum spirare, l’épilogue alors eût valu le prologue.

Nous touchons au point délicat ; une chose manque, en effet, à cette partition : la couleur. En dehors de cette page de l’Enfer, qui, je ne me lasse point de le répéter, ouvre devant vos yeux le vestibule d’un chef-d’œuvre, rien, dans la musique, ne nous avertit ni du pays, ni de l’époque où l’action se joue. La note caractéristique et locale,