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cours de la discussion de la loi de presse, un chef du parti eut la malencontreuse pensée de l’interroger, à la fin de son discours, sur ce qu’il pourrait faire de plus funeste à la république : « L’orateur qui descend de cette tribune, dit-il avec ce ton grave et pénétrant que sa voix prenait en certaines circonstances, vient de m’adresser une question : il me demande ce que je ferais si j’étais l’ennemi de la république. Je lui dirai très sincèrement que, si j’étais l’ennemi de la république, j’adopterais ses prétendus principes républicains, qui, en laissant à la liberté individuelle toutes ses exagérations, tous ses excès, toutes ses violences, rendraient inévitablement en peu de temps la république impossible en ce pays. » M. Dufaure avait le secret de ces ironies tantôt fines, tantôt rudes, qui écrasaient l’adversaire et dont sa diction mordante doublait par instans la puissance.

Le ministre de l’intérieur ne se lassait pas de combattre le sophisme des républicains qui voulaient par principe énerver toutes les lois. Il soutenait que les nouvelles institutions, en appelant tous les citoyens à participer par l’élection au gouvernement du pays, avaient donné plus de développement aux prétentions individuelles et que, par conséquent, elles devaient rendre plus irrésistible l’autorité légitime du pouvoir social. La fermeté de sa parole était toujours prête à défendre les lois. Lorsqu’il eut fait voter la législation sur la presse et celle relative à l’état de siège, l’assemblée se sépara. Il avait hâte d’employer la prorogation à poursuivre ses études sur l’assistance publique.

C’était la première de ses préoccupations. Dans l’intervalle des troubles, il avait eu le temps de faire nommer une grande commission chargée d’examiner ses projets et de demander un crédit de 500,000 francs pour les œuvres de bienfaisance. Aux souffrances que, depuis plus d’un an, aucun remède n’avait pu guérir ni atténuer s’était ajouté le choléra. Jamais l’assistance n’avait paru un devoir plus étroit. M. Dufaure s’y dévoua entièrement et fit avancer l’examen des questions dont la commission, nommée sur l’initiative de M. de Melun, avait abordé l’étude et qui devait embrasser, suivant la belle expression dont se servit alors M. Thiers, « la longue et douloureuse chaîne des misères humaines, afin de réaliser enfin cette fraternité si souvent annoncée, mais toujours d’autant moins pratiquée qu’elle a été plus fastueusement promise. »

Le ministre de l’intérieur ne bornait pas ses soins à suivre les travaux des commissions nommées par l’assemblée. Il établit un conseil de surveillance des prisons de la Seine ; il voulait faire revivre ces institutions vraiment libérales qui avaient été si fécondes lors de leur première organisation, en 1819, et que l’incurie avait laissées périr. Il présidait cette commission, heureux quand il retrouvait, grâce à elle, quelque abus qu’il lui fût possible de réparer sur-le-champ.