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manqué de bon sens. Quels n’allaient pas être les défauts, les inexpériences, les folies de la foule devenue souveraine ? Quelle assemblée allaient envoyer les électeurs ? Assurément les censitaires n’étaient pas assez nombreux, ils constituaient une aristocratie bourgeoise qui ne voyait rien en dehors de ses propres intérêts, mais qu’attendre de l’ignorance et des passions que déchaînait le gouvernement provisoire ? Les nouveaux électeurs, pour s’instruire, auraient eu besoin d’entendre des conseils sages, tandis que du ministère de l’intérieur partaient des bulletins qui soufflaient l’esprit de discorde. Dans le désarroi général, M. Dufaure n’hésita pas à penser qu’il devait agir. L’arène politique devenait un champ de bataille ; du moment où il y avait péril, l’hésitation n’était plus permise. Les électeurs de la Charente-Inférieure le nommèrent le cinquième sur douze.

En entrant à l’assemblée nationale, sa surprise fut grande. Par une de ces réactions dont il a fourni depuis tant d’exemples, le suffrage populaire, poussé vers la violence, avait envoyé des représentans modérés. Du sein d’une société où, durant deux mois, tout avait été mis en question, sortit une majorité disposée à rétablir l’ordre et ennemie des folles utopies. Son premier soin devait être de donner une constitution à la France. Réunie depuis peu de jours, elle nomma, le 17 mai, la commission de constitution : six membres seulement réunirent la majorité absolue au premier tour. MM. Vivien, de Tocqueville et Dufaure étaient parmi les premiers élus. Malgré cet heureux symptôme, la majorité des commissaires, sans être hostile aux idées modérées, se montra inconsistante et dénuée d’expérience aussi bien que de volonté.

À l’heure où la commission commençait ses travaux, les questions sociales étaient au premier rang des préoccupations publiques. Si on sauva l’inamovibilité de la magistrature, si on organisa fortement un conseil d’état ayant un grand rôle dans l’équilibre des pouvoirs, en revanche on commit la faute de voter l’unité du pouvoir législatif, l’élection directe du président de la république ; l’attention était ailleurs ; il s’agissait de décider si le droit au travail, qui venait de servir de mot d’ordre à l’insurrection de juin, serait inséré dans le contrat politique comme un gage de révolution. La discussion devait être solennelle et décisive : selon le vote, on saurait si l’assemblée, résolue à dompter l’émeute, serait aussi ferme contre les dortrines anarchiques. M. Thiers fit justice de ces fausses théories dans un mémorable discours où, après les avoir longuement étudiées, il les écrasa, en jetant à la gauche ce dernier mot : « Avec le droit au travail, vous ne ferez qu’une société paresseuse et esclave ! » À la surprise générale, ce fut M. Billault qui se leva pour lui répondre. M. Dufaure avait horreur des équivoques. Il