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respect de l’ordre. La persistance des troubles populaires avait attristé M. Dufaure, mais il était surtout inquiet du contre-coup qu’ils avaient provoqué autour de lui dans la province.

Chaque émeute excitait l’esprit de répression ; on était disposé à dépasser le but ; les électeurs étaient prêts à sacrifier les principes aux expédiens et à faire bon marché des revendications libérales de la restauration. M. Dufaure considérait que l’honneur du gouvernement issu de la révolution de juillet était de demeurer obstinément fidèle aux maximes libérales. Il haïssait l’émeute, mais il voulait la vaincre par la force des lois et sans recourir aux mesures d’exception. N’ayant vu que de loin ce qui se passait à Paris, il arrivait à la chambre plein de défiance contre les séductions du pouvoir, attribuant à l’influence de la cour ou des ministres les conversions ou les désaveux qui l’avaient blessé, résolu néanmoins à soutenir le gouvernement, mais sans jamais lui sacrifier une de ses convictions.

il allait retrouver, pour le confirmer dans ses sentimens, un des amis les plus fidèles de sa jeunesse, devenu un des membres les plus écoutés de la chambre, M. Vivien. Heureux de s’asseoir, comme à l’école de droit, sur le même banc et de fuir ensemble les petites intrigues, ils se mirent au travail avec l’ardeur qu’ils déployaient, seize ans auparavant, dans leurs conférences. Beaucoup de députés arrivant du fond de la province avaient déjà coutume, à cette époque, de partager leur temps entre les bureaux et les salons des ministères. M. Dufaure embrassa la vie parlementaire comme une tâche laborieuse, se refusant aux sollicitations et évitant les plaisirs. Il parut aux Tuileries et chez le président de la chambre, mais, hors de ces deux soirées, il consacra toutes ses heures à préparer les discussions. Chaque projet était pour lui un client dont il adoptait la cause et auquel il dévouait ses études et ses soins. Pour qui connaît l’activité intérieure de nos assemblées délibérantes et la multiplicité de leurs travaux, il est aisé de juger ce que devait être la tâche. Il n’en fut pas rebuté ; c’était, à ses yeux, le seul moyen de se former aux labeurs variés du parlement. Il prévoyait bien qu’avec le temps il serait amené à faire un choix, à se dévouer plus spécialement à certaines questions, mais il voulait avant tout être initié à l’ensemble, « Depuis le commencement de la session, écrit-il à son père, j’ai été prêt à parler sur tout. » Malgré cette forte préparation, il montait rarement à la tribune ; c’était chez lui une disposition naturelle ; il ne se doutait guère qu’en s’abstenant il faisait le meilleur des calculs.

L’écueil des nouveau-venus, et surtout des improvisateurs, est de fatiguer les assemblées et d’aborder les questions générales avant d’avoir établi leur autorité. Plus d’un homme de talent a vu son