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qui fait une armée. Est-on disposé à recommencer ? Que la situation militaire, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne soit pas des meilleures, qu’elle appelle l’énergique vigilance des pouvoirs publics, c’est possible, c’est même certain ; mais il est bien clair qu’on ne remédiera pas au mal avec tous les remèdes qu’on propose. Ce ne sont pas même des lois nouvelles qui seront le vrai remède. Ce ne sont jamais les lois qui ont manqué ; celles qui ont été faites après la guerre avaient été certainement préparées avec autant de maturité que de patriotisme ; ce qui a manqué surtout dans ces dernières années, c’est l’exécution. De toutes ces lois, il n’en est peut-être pas une qui n’ait été perpétuellement violée ou maladroitement interprétée, depuis la loi sur le recrutement jusqu’à la loi sur les effectifs ? Ce volontariat même, qu’on accuse, qu’on veut supprimer aujourd’hui, s’il n’a pas porté de meilleurs fruits, ce n’est pas parce qu’il n’avait pas été sagement conçu, c’est parce qu’il a été appliqué d’une manière décousue, inégale, souvent presque infidèle. On a créé l’instabilité dans l’ordre militaire, — et quelles ont été les principales causes de toutes les déviations ? Ce sont les préoccupations de politique et de parti qui ont pesé sur les ministres, jusqu’à M. le général Farre, qui a dit le dernier mot de la désorganisation. Ce qui vaudrait bien mieux que les changemens de lois et les discussions vaines aujourd’hui, ce serait de se mettre à l’œuvre pratiquement, obstinément, en dehors de toute influence de parti, en se pénétrant de cette idée que, si l’on veut une armée, il faut en accepter les conditions ; si l’on ne veut qu’une garde nationale, ce n’est pas la peine d’avoir un budget militaire de 587 millions : c’est payer trop cher l’illusion de la force !

Le monde européen, dans sa vie affairée de tous les jours, reste perpétuellement livré à des courans contraires, au courant pacifique et à cet autre courant plus dangereux qui peut le jeter sur recueil de nouveaux conflits. Il sait bien ce qu’il préfère, il ne sait pas toujours où il en est, où le conduisent ceux qui ont la prétention d’être ses guides ; il s’inquiète ou il se rassure tour à tour, et c’est d’habitude aux approches du printemps qu’on se remet à interroger les augures, à se demander si cette année dans laquelle on vient d’entrer est promise à la paix ou aux grands troubles entre les peuples. Ce n’est pas précisément, si l’on veut, le signe d’une Europe bien rassise. A la vérité, on vit depuis tant d’années déjà au milieu de ces incertitudes qu’on finit par s’y accoutumer. Cette année a ressemblé à toutes les autres. Il y a eu un moment, on peut le présumer, quelques nuages vers le nord ou vers l’est, à propos de l’insurrection de l’Herzégovine, des affaires orientales et des relations de la Russie avec l’Autriche : ces nuages paraissent à peu près dissipés aujourd’hui. Ils ont été surtout dissipés vraisemblablement par le voyage semi-diplomatique d’un frère du tsar, le grand-duc Wladimir qui, après avoir visité la cour impériale