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intitulés : le Manuel de la. parfaite ménagère en Sibérie. En le lisant, vous apprendrez par exemple qu’à Krasnoiarsk les dindons valent 3 shillings la paire, qu’un veau de neuf mois n’en coûte que 3 ou 4, mais que, si jamais, vous passez à Irkutsk, vous devrez débourser plus de 17 francs pour pouvoir sabler une bouteille de Champagne et que vous en donnerez plus de 3 pour vous procurer un citron.

Ces détails ne sont pas à mépriser, ils font connaître un pays. Mais les renseignemens circonstanciés que nous fournit M. Lansdell touchant le sort des criminels et surtout des déportés politiques, condamnés aux travaux forcés eu Sibérie, nous intéressent beaucoup, plus encore. Ce nom de Sibérie exerce sur les imaginations une sorte de charme sinistre et navrant, il éveille, dans l’esprit l’idée d’une morne désolation, du plus affreux des tombeaux. Cette mystérieuse contrée, dont les steppes mesurent 2 millions de milles carrés de plus que l’Europe tout entière, dans laquelle tiendraient des empires, et qui du pied des monts Altaï descend par une pente faible jusqu’aux tristes toundras où le renne déterre le lichen sous la neige, et jusqu’aux banquises de l’Océan-Glacial, cette incommensurable province qui, cent fois plus grande que l’Angleterre, n’a que la population de sept comtés anglais, c’est-à-dire 8 millions d’habitans, nous apparaît comme un enfer glacé, comme le royaume de l’éternelle solitude et de l’éternel silence. On sait à la vérité qu’elle possède d’immenses richesses minérales, des mines inépuisables d’or, d’argent et de houille, cent variétés de jaspes, l’émeraude, l’onyx, le grenat, le lapis-lazuli, l’opale, la tourmaline et l’alexandrite, cette pierre étrange qui dans le jour est du plus beau cramoisi et qui la nuit semble verte. Mais l’homme ne vit pas d’émeraudes et d’onyx, ni même d’alexandrite, et malgré ses trésors, la Sibérie passe pour un pays où tout est difficile, sauf de mourir.

La conviction très arrêtée de M. Lansdell est qu’on a calomnié la Sibérie. Sur les bords de l’Iéniséi aussi bien que de l’Obi se trouvent de vastes districts de terre noire d’une remarquable fécondité, vrai terreau de jardin, où prospèrent à souhait le froment, l’avoine, l’orge, toutes les céréales. Plus au nord, de gras pâturages s’étendent jusqu’à la région boisée, dans laquelle pullulent les animaux à fourrure. Une gazette anglaise accusait naguère le gouvernement russe de faire acheter dans les abattoirs de Sheffield des provisions considérables de viande de cheval, qui arrivait pourrie et dont il nourrissait ses prisonniers politiques. Cette assertion paraît à M. Lansdell aussi plaisante que monstrueuse. Ce serait, remarque-t-il, porter à grands frais du. charbon à Newcastle et vouloir se ruiner de gaîté de cœur, puisqu’il est facile de trouver à Irkutsk de la viande fraîche d’excellente qualité pour 2 pence ou 4 sous et qu’à Tobolsk. on peut l’avoir à meilleur prix