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personnel ; tant vaut le magnétiseur, tant valent ses procédés et ses passes.

Encouragé par son succès, M. Lansdell forma un projet plus vaste et plus hardi ; il résolut de visiter la Sibérie, ses effrayantes solitudes, ses redoutables mines d’or et d’argent, exploitées par des forçats. Ses amis lui firent plus d’une objection : « A quoi pensez-vous ? lui disaient-ils. Vous caressez un chimérique espoir. Le gouvernement russe se gardera bien de vous octroyer les autorisations nécessaires ; il ne peut lui convenir qu’un indiscret pénètre les sombres mystères de sa politique pénale. On vous amusera par de belles paroles ou vous essuierez des refus ironiques et polis, car l’ironie russe est toujours polie. En fin de compte, vous serez éconduit, ce qui est désagréable, et peut-être serez-vous ridicule, ce qui est plus désagréable encore. » La première condition du succès est de ne douter de rien. M. Lansdell ne se rendit point aux remontrances de ses amis ; ce qu’il avait juré de faire, il l’a fait.

Il a visité la Sibérie, il l’a traversée dans toute sa longueur, depuis l’Oural jusqu’aux rivages de la mer japonaise. Il a vu Tiumen, Tobolsk, Tomsk, Krasnoiarsk, Irkutsk, qui est trois fois plus près de Pékin que de Saint-Pétersbourg ; il a passé l’Obi, l’Iéniséi, la Lena, et, chemin faisant, il a rencontré des Samoyèdes petits et laids, des Buriates à la large face carrée, des Tongouses, des Ostiaks, des Mongols, des Chinois, des Giliaks, vêtus de peau de poisson. Après avoir franchi d’immenses espaces en tarantass, il a descendu l’Amur, il est arrivé à Nikolaievsk, sur la mer d’Okhotsk ; puis il s’est rendu à Vladivostok, où il s’est embarqué pour la Californie. Il était parti de Londres un mercredi matin, le 30 avril 1879 ; il y rentrait le 25 novembre, après avoir fait le tour du monde et accompli tout d’une haleine un voyage de plus de 10,000 lieues de poste. Voilà des vacances bien employées ! Pour nous raconter tout ce qu’il a vu, ce n’était pas trop de huit cents pages et de deux volumes in-octavo, qu’on lira avec autant de profit que de plaisir[1]. Il y a un proverbe anglais qui dit : « Aime la vérifié, mais invite quelquefois le mensonge à dîner : Love truth, but invite the lie to dinner. » M. Lansdell n’invite jamais le mensonge à dîner. Sa bonne foi ne peut être mise en doute, et comme à l’ingénuité dans la franchise il joint le goût du détail exact et précis, la netteté de son témoignage commande la confiance.

M. Lansdell n’est pas seulement un philanthrope ; ce voyageur, aussi entreprenant qu’infatigable, est par surcroît un missionnaire qui unit un peu d’optimisme au zèle inquiet du salut des âmes. Il ne sort jamais de chez lui pour visiter une maison d’arrêt ou de détention sans avoir

  1. Rhough Siberia, by Henry Lansdell, with illustrations and maps ; Londres, 1882.