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cœur et l’ont contrainte de faire beaucoup de choses qu’en une autre saison elle n’eût point faites. Elle a soin de dire aussi : « La religion ayst heune couverteure dont souvent l’on se sert pour cacher heune mauvaise volonté. » Elle prie donc Philippe, s’il veut être prince « sage, prudent et avisé » de ne point écouter les plaintes des catholiques français. Elle lui demande une entrevue, qu’elle voudrait dans le comté de Perpignan, ne voyant pas meilleur remède pour rompre les mauvais desseins (lettres de janvier 1566). Peu de jours après fut rendu l’édit de janvier, qui donna aux réformés, sous certaines conditions, le libre exercice de leur culte et qui était analogue sur beaucoup de points au fameux édit de Nantes.

En expliquant l’édit à M. de Rennes, elle lui dit qu’elle avait fait, avec l’approbation du légat, une conférence d’évêques et docteurs en théologie, pour aviser aux causes qui tenaient les réformés séparés de l’église catholique ; mais dans cette conférence on avait commencé à consumer quinze jours sur la simple question de l’usage des images. Elle a donc résolu de renvoyer toutes les questions théologiques à la décision des conciles, d’aller au plus pressé et de s’accommoder avec les huguenots, puisque la « malice du temps et nécessité de l’affaire l’y contraint. »

L’édit de tolérance précipita le cours des événemens : les catholiques alarmés se préparèrent à la guerre, et le massacre de Vassy donna le signal de la guerre civile. Qu’allait faire Catherine ? Il n’est pas douteux qu’elle songea à se mettre avec Condé contre les Guises. Les Châtillon lui faisaient peur, l’incorruptible amiral ne lui inspirait que de la terreur et de la haine ; mais Condé était un prince du sang, elle connaissait ses faiblesses, elle pourrait toujours s’entendre avec lui. Elle écrivit quatre lettres coup sur coup à Condé, après le massacre de Vassy ; plus tard elle prétendit qu’on les avait altérées, qu’elle n’avait rien voulu que faire sortir Condé de Paris pour tout pacifier. Montluc écrit dans ses Commentaires : « Je scay bien qu’elle a été accusée d’estre cause des premiers remuemens qui advinrent aux premiers troubles et monsieur le prince lui fist ce tort d’envoyer ces lettres en Allemaigne et les montrer et faire imprimer partout. » De ces lettres on n’a plus que des copies, avec des notes explicatives que la reine y fit ajouter. Les protestans ont toujours prétendu que la reine avait fait commandement à Condé de prendre les armes pour sa défense. Condé avait envoyé les originaux à sa belle-mère, Mme de Roye, qui partait pour Strasbourg avec ses enfans, et de Bèze raconte que Spifame (M. de Passy, ministre de la parole de Dieu) exhiba ces lettres devant la chambre impériale, et requit que le sceau de la chancellerie de l’empire y fût apposé.