Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une petite-fille de l’empereur. Tout lui était bon plutôt que la nièce des Guises : elle se dépêcha de l’envoyer en Écosse.

L’avènement du roi Charles IX, âgé seulement de dix ans, marque ce qu’on pourrait nommer la phase huguenote du gouvernement de la reine mère. Les Guises l’avaient forcée d’intervenir auprès du parlement de Paris en faveur des jésuites ; maintenant, elle flattait les protestant, elle parlait de concile national, elle donnait de vagues espérances à Calvin, elle recevait Théodore de Bèze au Louvre, dans la chambre de Jeanne d’Albret ; elle comblait celle-ci des marques de sa faveur et lui promettait son appui contre l’Espagne. Elle se condamnait à l’ennui des conférences théologiques ; catholique à l’italienne et superstitieuse jusqu’à croire à l’astrologie, elle n’aimait point au fond la doctrine protestante ; elle cherchait seulement à endormir les huguenots ; par une bienveillance parfois presque affectueuse ; elle voulait surtout gagner du temps. « Dieu, écrivit-elle à sa fille, la reine d’Espagne, m’a haulté vostre frère que j’ay aymé comme vous savés, et m’a layssée avecque trois enfans petits et en heun reaume tout dyvysé, n’y ayant heun seul à qui je me puyse de tout fyer qui n’aye quelque pasion particoulyère. » Cette fille Elisabeth, qu’elle essayait toujours de gouverner de loin, lui échappait de plus en plus : Chantonnay, l’ambassadeur de Philippe, dénonçait l’indulgence de Catherine pour les calvinistes. Catherine n’aimait pas à être admonestée par les agens de Philippe ; voici une lettre, dictée par le roi d’Espagne à sa femme : « Le Roy, Monseigneur, vous supplie châtier les méchans très-instamment, et si vous avez peur, pour estre en trop grande quantité, que vous nous employiez ; car nous vous baillerons tout nostre bien, nos gens et ce que nous avons pour soustenir la religion. Ou que si vous les punissez, vous ne trouviez point mauvais que ceux qui demanderont secours au dict Roy, mon seigneur, pour garder la foy, il leur donne ; car il lui touche autant qu’à personne, car estant France luthérienne, Flandres et Espagne n’en seront pas loin… A ceste heure, vous estes tout au gouvernement, je ne peux plus trouver d’excuses. C’est une chose qui convient au service de Dieu., du Roy mon frère, de la chrétienté. Si vous temporisez, il y aura toujours plus de meschans. Du temps du feu Roy, mon seigneur et père, que l’on les chastioit, il n’y en avoit point, et du temps du feu Roy mon frère, qu’on commençoit à les chastier, il ne s’en partait plus[1]. » Singulière lettre d’une fille à sa mère, d’une reine d’Espagne à une reine de France ! Ainsi, Philippe annonçait hautement le dessein d’intervenir dans les discordes civiles de notre pays, de donner son appui à un parti contre

  1. Bibl. nat — Lettre citée par M. Forneron dans son Histoire de Philippe II.