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maître et, sitôt que quelque chose s’éleva, elle se plut à l’abaisser. Aussi ne faut-il point chercher dans sa conduite la suite et l’unité qui soutiennent quelque grand dessein, mais seulement une sorte de constance d’égoïsme et de jalousie qui lui servait de perpétuel ressort et lui inspirait, tantôt des résolutions généreuses et tantôt des résolutions féroces.

Tout d’abord, Catherine laissa les Guises exercer le pouvoir ; après la conjuration d’Amboise, qui donna au duc de Guise une sorte de dictature catholique, c’est elle qui fut obligée d’attirer à la cour le jeune prince de Condé[1]. On sait que, lorsque celui-ci se rendit à Orléans avec son frère, le roi de Navarre, son arrestation était décidée. Les deux princes ne furent admis que par une porte basse dans le logis du roi : « Après quelques froides embrassades, le Roy ayant arrière soi ceux de Guise, qui n’avoient pas faist un pas, les mena en la chambre de la Royne, sa mère, qui les receut en plorant. » Si ces larmes étaient sincères, la reine mère ne fut pour rien dans les mesures de rigueur qui furent prises contre Condé. Elle supportait déjà avec impatience le joug des Guises, elle écrivait lettre sur lettre pour faire venir le connétable de Montmorency à Orléans ; sur le procès même du prince de Condé, la correspondance est absolument muette ; mais il est bien permis de croire que la reine mère ne ratifia point dans son cœur la condamnation à mort d’un prince du sang. La mort de son fils François II fut une délivrance pour elle comme pour Condé : ses lettres à sa ficela duchesse de Savoie la montrent peu confiante dans le faible roi de Navarre ; elle prend le pouvoir elle-même, oblige Condé et Guise à se réconcilier en sa présence. On vit bien à la façon dont elle traita Marie Stuart combien elle se méfiait des princes lorrains. Elle fit tout au monde pour empêcher le mariage de cette belle princesse avec don Carlos, le fils de Philippe II. La détestait-elle comme femme ? Redoutait-elle de voir l’Ecosse donnée à l’Espagne ? Voulait-elle, mère avide, assurer la main de don Carlos à sa seconde fille, Marguerite, qui n’avait encore que huit ans ? Le fait est qu’elle fit peur à sa fille Elisabeth de la charmante reine d’Ecosse et lui montra en elle une rivale redoutable, au cas où Philippe II viendrait à mourir : « Vous seriez en danger d’estre la plus malheureuse du monde si vostre mary venoit à mourir, luy estant roy, s’il n’avoit épousé quelque femme qui feust un vous-mesme comme vostre sœur. » Si Marguerite est trouvée trop jeune, elle conseille Juana, la tante de don Carlos ; puis, celle-ci écartée à cause des répugnances de don Carlos,

  1. Lettre de Catherine au roi de Navarre, 3 avril 1560. — Deuxième lettre du 17 octobre 1560, où elle se plaint que le roi de Navarre retarde son voyage.