Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

nis se consumant d’amour pour une femme nommée Xénéa. Enfin, dans la ire, il est question d’une jeune fille qui l’aime et « le cherche auprès de toutes les fontaines et dans tous les bois. » Tels sont les trois passages qu’on veut concilier. Par une pensée naturelle, on se reporte, autant que possible, à la légende racontée par Timée et par Diodore de Sicile, celle qui paraît dominer depuis Stésichore, dont la patrie, Himère, était voisine de la région où elle s’était localisée. Au sujet de Naïs, il n’y a pas de difficulté : c’est la nymphe qui, en accordant son amour à Daphnis, lui a fait jurer fidélité. Mais qu’est-ce que Xénéa ? Ne serait-ce point cette princesse dont l’amour peu scrupuleux a causé la faute et la perte de Daphnis ? Cette explication semblerait très admissible, si Théocrite ne disait pas que c’est Daphnis qui aime Xénéa et qui erre éperdu dans la montagne. Et la jeune fille de la ire idylle, qui erre aussi dans les solitudes sauvages ? Un commentateur ancien l’identifie avec Xénéa ; mais c’est au prix d’un contresens. Aussi des modernes, Welcker, Dœderlein, M. Adert, préfèrent-ils reconnaître sous cette vague désignation Naïs, l’épouse trahie. Mais, comme le fait remarquer avec raison K.-Fr. Hermann, un des derniers qui aient traité ces questions, Vénus, dont la vengeance cause, dans la ire idylle, la mort de Daphnis, deviendrait ainsi la gardienne de la fidélité conjugale ; ce qui n’est nullement conforme à son caractère. Il en conclut donc qu’outre Naïs et Xénéa, il y a dans les amours de Daphnis de Théocrite une troisième femme. On est tenté de trouver que c’est beaucoup ; mais cette troisième femme est indispensable au savant critique pour résoudre à son gré, en s’aidant de ses connaissances mythologiques et grammaticales, les questions de psychologie et de physiologie amoureuse dans lesquelles la ire idylle a engagé ses interprètes.

La plupart avaient pensé que dans cette lutte que Daphnis soutient contre Vénus et où, malgré sa mort, il n’est qu’à demi vaincu, sa demi-victoire consistait en ce qu’il ne laissait fléchir ni sa volonté ni sa vertu : la passion le domptait, il mourait d’amour, mais Vénus ne pouvait rien sur sa résolution ni sur sa fidélité. Cette distinction paraît trop subtile à Hermann, et voici la simplification qu’il imagine. Vénus a inspiré à Daphnis une passion violente, sans issue, mortelle, pour Xénéa, et en même temps elle le fait aimer par cette jeune fille dont le nom n’est pas prononcé : que le chaste berger réponde à ce dernier sentiment qu’il ne partage pas, qu’il reconnaisse ainsi l’empire de Vénus, et la déesse de l’amour sera satisfaite ; elle le délivrera du mal qui l’obsède et qui le tue.

Qu’est-ce, en effet, que Xénéa ? C’est ici que la grammaire nous prête son concours. Xénéa n’est pas un nom propre ; c’est, comme d’autres critiques l’ont également admis, une forme d’un adjectif