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service des emprunts amortissables pour travaux publics ont reçu d’autres emplois et que les degrèvemens d’impôts deviennent de plus en plus incertains et difficiles. Comment donc, alors que le trésor se voit menacé de graves embarras pour l’exécution du plan de M. de Freycinet, s’aviserait-on de lui imposer sans nécessité et par surcroît la charge et les engagemens de la totalité des chemins de fer ? Vainement dira-t-on qu’il s’agit d’une simple transposition de capital, que l’état, substitué aux compagnies, héritera de leurs bénéfices en même temps que de leurs dettes, et que, grâce aux bénéfices constatés, la balance penchera au profit du trésor, des contribuables et de tous les intérêts qui se rattachent aux transports. Nous verrons plus loin, en traitant la question des tarifs, que ce calcul est faux et que les conséquences du rachat, quant au produit net de l’exploitation des voies ferrées, seraient tout autres. En attendant, il faudrait que le trésor, indépendamment des annuités à servir pour prix du rachat déboursât immédiatement une somme très considérable tant pour la prise de possession du matériel que pour le remboursement des dépenses de construction sur les lignes dont la concession remonte à moins de quinze années. Nous aurions ainsi l’emprunt du rachat ; encore des milliards ! Rien qu’au point de vue de l’opportunité, et en admettant même (ce qui n’est pas) que la combinaison financière deviendrait ultérieurement profitable, un semblable projet veut être repoussé.

Dans le budget préparé pour 1883, le service de notre dette consolidée exige une somme de 741 millions, et cette dette, avec ses divers types, 5, 4 1/2, 4 et 3 pour 100, représente un capital de près de 19 milliards. À ce dernier chiffre il faut ajouter 4 milliards environ de dettes remboursables à certaines échéances déterminées. Et l’on voudrait enter sur ces totaux vraiment énormes une dette nouvelle de plus de 10 milliards, représentant pour l’heure le capital des concessions des chemins de fer, et une autre dette de 5 à 6 milliards pour les kilomètres récemment classés, et les milliards que nécessitera plus tard la continuation du réseau, car dans un pays tel que le nôtre le compte d’établissement des chemins de fer ne sera jamais fermé ! Cela dépasse toutes les bornes. Peu importerait que ce surcroît de dette fût gagé par la certitude d’un revenu correspondant, et même par une perspective de bénéfice. Cette propriété nouvelle, une fois incorporée au domaine de l’état, se confondrait avec le reste, et, quel que fût son revenu, les prix de rachat et d’établissement s’ajouteraient à l’ensemble de la dette nationale, qui atteindrait presque 40 milliards. Devant un tel chiffre l’opération est jugée ; en escomptant à ce point le crédit national, si grand qu’il soit, on condamnerait la France à ne plus pouvoir y recourir dans les circonstances toujours à prévoir où son honneur et