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vulgarisés. Il en est qui méritent à peine de retenir l’attention. Lorsque, par exemple, les partisans du rachat nous déclarent gravement que les compagnies actuelles doivent être, non pas seulement épurées, mais encore supprimées, parce qu’elles représenteraient, dans notre société moderne, l’image du régime féodal, n’est-on point tenté de sourire ? Rien de plus démocrate que le capital des chemins de fer. Allez donc dans les grandes salles le jour où les guichets s’ouvrent pour le paiement des coupons d’obligations ; vous y verrez une foule d’honnêtes citoyens qui seraient plus étonnés qu’effrayés de s’entendre qualifier de hauts barons de la finance. — Dans le sens contraire, ne commet-on pas une exagération évidente, lorsque l’on déclare que l’état serait incapable d’exploiter les chemins de fer et que ses agens seraient nécessairement les tyrans du public ? Cet argument, pour avoir été exposé dans de spirituelles caricatures, n’en est pas plus sérieux. Il serait facile de relever, dans les deux thèses, d’autres allégations de cette force. Mieux vaut laisser de côté la féodalité, les seigneurs et les tyrans, et aller droit aux raisons vraiment décisives. Tout l’effort de la discussion peut se concentrer sur trois points : l’intérêt financier, la question des tarifs, et la détermination des rôles respectifs de l’état et de l’industrie privée dans les entreprises d’utilité publique.

Pour ce qui concerne l’intérêt financier, un récent écrit de M. Léon Say[1] a clairement démontré que la situation actuelle de nos finances ne permet plus même de laisser à la charge de l’état la construction de toutes les lignes comprises dans le plan de M. de Freycinet. A l’époque où ce plan fut conçu, le trésor comptait, depuis 1875, d’abondantes plus-values de recettes, ses découverts étaient diminués, les anciennes compagnies, arrivées presque au terme de leurs travaux de construction, n’avaient plus à demander au public chaque année, comme précédemment, plusieurs centaines de millions par voie d’obligations. Le gouvernement pouvait donc, à la rigueur, appliquer au service de nouveaux emprunts la portion des plus-values de recettes qui n’aurait pas été consacrée à des dégrève-mens d’impôts et obtenir facilement de l’épargne le capital annuel de 500 millions dont les compagnies n’avaient plus besoin. Cette manœuvre ne manquait pas de hardiesse ; elle était pourtant raisonnée et elle s’autorisait d’un grand intérêt politique. Malheureusement les prévisions financières n’ont point tardé à se trouver déçues. Les augmentations de dépenses, pour les budgets ordinaires, ont absorbé, de 1878 à 1882, la plus forte part des excédens de recettes, de telle sorte que les plus-values que l’on destinait au

  1. Le Rachat des chemins de fer, par M. Léon Say. (Journal des économistes, décembre 1881.)