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moins à traiter leur sujet, quel qu’il soit, qu’à faire montre d’eux-mêmes, c’est que son observation glisse à la surface des choses et qu’il en demeure toujours, selon la forte expression de Bossuet, « au lieu où se mesurent les périodes. » Là est la vraie faiblesse de ses oraisons funèbres. Il y en a jusqu’à trois qui conservent encore aujourd’hui quelque réputation : l’Oraison funèbre de Mme de Montausier d’abord, l’Oraison funèbre de Turenne ensuite, et enfin l’Oraison funèbre de M. de Lamoignon. Celle de Turenne, comme on le sait, est la plus vantée. C’est un des beaux morceaux de rhétorique, incontestablement, qu’il y ait dans la langue française. On n’y trouve pas trop de ces détails comme il y en a dans l’Oraison funèbre de Mme d’Aiguillon: « Les eaux de la mer n’éteignirent pas l’ardeur de sa charité[1] ; » ou comme dans l’Oraison funèbre de M. de Lamoignon : « Le premier tribunal où il monta fut celui de sa conscience; » ou comme dans l’Oraison funèbre de Mme de Montausier : « Il n’y a rien de si aimable que l’enfance des princes destinés à l’empire... et ils règnent d’autant plus fortement dans les cœurs qu’ils ne règnent pas encore dans leurs états. » Mais, après tout, ce sont là des vétilles et quelques antithèses de ce goût dans l’Oraison funèbre de Turenne ne suffiraient pas pour en déprécier la valeur. Voltaire pensait, avec une apparence de raison, que le style de Balzac n’était pas inconvenant au genre de l’oraison funèbre. Mais deux choses manquent à Fléchier. Et tout d’abord, le grand art de caractériser. Est-ce Turenne qu’il loue? Ce serait aussi bien Vauban, ce serait aussi bien Catinat, ce serait aussi bien tout autre capitaine, comme il le dit lui-même, « dont la valeur serait éclairée et conduite par la probité et par la prudence. » En second lieu : la puissance de généraliser. Il est incapable de tirer de son discours une leçon pour ses auditeurs; de leur montrer, parvenus à leur développement, dans un Turenne ou dans un Condé, ces qualités ou ces défauts dont nous avons tous, en tant qu’hommes, les commencemens en nous; de les renvoyer enfin plus instruits d’eux-mêmes et de l’humanité. Il n’y a de Turenne dans cette oraison funèbre que le nom, les titres et les exploits; l’homme en est absent; et si l’on en retire par la pensée ces exploits, ces titres et ce nom, comme de plus la pensée fait défaut, il ne demeure enfin que le souvenir d’une exquise volupté de l’oreille. C’est peu de chose.

Comme sans doute on nous aura trouvé dur pour les Oraisons funèbres, nous laisserons le soin aux contemporains eux-mêmes de Fléchier d’apprécier sa Correspondance. « Il répandait sa rhétorique jusque dans ses plus simples billets, disait spirituellement le docte Huet, l’un des amis de sa jeunesse, et les discours qu’il tenait dans son domestique

  1. C’est-à-dire qu’ayant armé un vaisseau pour la conversion de la Chine, et ce vaisseau ayant fait naufrage, elle en arma un second.