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L’abbé Fabre n’en a pas moins trouvé dans ces fameux Manuscrits de Conrart, d’où l’on a déjà tiré tant de choses, et quelques-unes que l’on eût mieux fait d’y laisser, de quoi raviver heureusement cette physionomie de précieuse. Celle-ci est surtout illustre pour avoir échangé force énigmes avec l’abbé Cotin. La recommandation est mauvaise auprès de la postérité. Je n’imagine pas que les madrigaux de Fléchier sur les yeux d’Iris malades et sur les yeux d’Iris guéris en soient une meilleure. On a recherché, peut-être avec indiscrétion, et en tout cas sans utilité pour l’histoire, ce qu’avaient été les relations de Mlle de La Vigne avec Fléchier, et, d’une scrupuleuse enquête, on a cru pouvoir conclure qu’elles étaient demeurées dans « la région idéale des désespoirs convenus et des sentimens arrangés. » C’est bien dit, et c’est, je crois, la pure vérité. Mais ce qu’il paraîtra plus malaisé d’admettre, c’est que ce commerce de madrigaux et d’énigmes n’ait été de la part de Fléchier qu’un galant badinage, au sens littéraire du mot, et dont il aurait lui-même été le premier à sourire. C’est très sérieusement, au contraire, que toute cette société précieuse travaille à ces futilités. Nul n’ignore, et Fléchier moins qu’un autre, que c’est un moyen de se mettre en réputation, de s’assurer des amis, de se concilier des protectrices, et par conséquent de se pousser dans le monde.

Il nous reste à dire quelques mots d’une autre amie de Fléchier, la plus célèbre après Mlle de Scudéry, c’est Mme Deshoulières. Mme Deshoulières, beaucoup plus jeune que Mme de Scudéry, d’une trentaine d’années environ, paraît avoir recueilli, vers 1660 ou 1665 à peu près, l’héritage du Samedi de l’illustre précieuse. «Elle fut en liaison, nous apprend-on, avec les plus beaux génies de son siècle, MM. Corneille, Pellisson, Benserade, Conrart, Perrault, Charpentier, Fléchier, Mascaron, Quinault, Ménage ; etc., les ducs de La Rochefoucauld, de Montausier, de Nevers et de Saint-Aignan. etc. » Ce sont exactement, comme on voit, les débris de l’hôtel de Rambouillet et des habitués de Mlle de Scudéry. Le panégyriste a sans doute oublié Pradon. Voilà l’omission réparée. Mais on voit aussi que, si l’on voulait dresser une liste générale des ennemis de Racine et de Boileau, c’est à peine s’il faudrait peut-être effacer un ou deux noms dans cette énumération. Si le biographe de Fléchier ne s’est pas trompé, c’est surtout ce salon de Mme Deshoulières que Fléchier aurait fréquenté. Ce qui du moins est certain, c’est que la Correspondance de Fléchier avec Mlle Deshoulières[1], sous son enveloppe précieuse, comme de juste, laisse transparaître parfois une confiance de Fléchier plus intime et plus solide en elle qu’en aucune de ses autres amies. On peut s’étonner là-dessus que Sainte-Beuve, qui, de bonne

  1. Le livre de l’abbé Fabre est bien intitulé : Correspondance avec Madame, etc. mais ce sont en réalité les lettres à Mlle Deshoulières qu’il contient.