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« Vaut-il mieux inhumer le cadavre d’un criminel, ou l’exposer, pour l’exemple, sur les grands chemins? » et encore : « Une femme doit-elle préférer la vie de son père à celle de son mari? » Les autres étaient d’un tour plus galant, comme celui-ci : « Les passions des femmes sont-elles plus violentes, ou si ce sont celles des hommes? » et comme celui-là : « Lequel est le plus propre pour gagner l’estime des dames, du savant, du cavalier, ou du galant homme? » Nous avons les amplifications de Fléchier. Et c’était pourtant le temps où, dans la chaire des Minimes de la place Royale, chez les Carmélites de la rue Saint-Jacques, enfin dans la chapelle du Louvre, Bossuet commençait à prêcher! Les admirables sermons sur la Mort ou sur l’Ambition sont peut-être de l’année même où Fléchier disputait dans son Académie : « Si la gloire d’un auteur célèbre est plus grande que celle d’un parfait orateur. » On voit assez où son penchant l’inclinait. Les sociétés qu’il fréquentait n’étaient assurément pas pour le remettre dans le bon chemin.

C’était Conrart, le secrétaire perpétuel de l’Académie française, le Théodamas du Grand Cyrus, cet homme qui écrivait si «juste, » si « poliment, » et d’une manière enfin « si peu commune. » C’était Chapelain, l’auteur de la Pucelle, qu’on travaille à réhabiliter, je ne sais trop pourquoi, depuis quelques années, et dont il est de mode maintenant de louer la solidité critique. Comme s’il ne suffisait pas pour le juger de la seule préface de sa Pucelle, à l’endroit par exemple où il parle du sens allégorique, « par lequel la poésie est faite l’un des principaux instrumens de l’architectonique ; » et comme si la vaste étendue de son érudition n’allait pas droit à prouver que le proverbe est fait pour lui:


Qu’un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant !


C’était Pellisson encore, mais Pellisson d’avant la Bastille, bel esprit et poète, le Phaon du Cyrus, l’Herminius de la Clélie, le secrétaire des Samedis de Mlle de Scudéry. C’était enfin M. de Montausier, beaucoup plus capable, — et la remarque en appartient à Victor Cousin lui-même, — d’écrire le sonnet d’Oronte que de le trouver bon à mettre au cabinet, l’un des habitués aussi du Samedi, mais qui surtout, à cette date de 1659, représentait la pure tradition de l’hôtel de Rambouillet.

Il ne manquait plus à l’éducation précieuse de Fléchier que cette dernière main que les femmes y pouvaient seules mettre. L’abbé Fabre, à ce propos, s’est demandé si, peut-être, en s’arrêtant à de certains détails, il n’allait pas porter une légère atteinte à la réputation d’un prélat justement respecté. Mais il a bien fait de passer outre à ces scrupules. Ceux-là seuls, en effet, s’étonneront du langage de Fléchier, ou s’aviseront de l’incriminer, qui ne se rappelleraient pas ce que Julie d’Angennes