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père y exerçait « un commerce de détail,» qui paraît avoir été celui de l’épicerie, c’est pour qu’il soit acquis, par un exemple de plus, que, sous l’ancien régime, le défaut de naissance n’empêchait l’accès aux dignités qu’autant qu’il était aggravé du défaut de mérite. La qualité n’était un privilège que s’il s’agissait de faire choix entre deux incapables. On prenait alors le mieux ne : nous avons depuis préféré le plus mal élevé. Il fit ses études au collège de Tarascon, entra dans la congrégation des pères de la doctrine chrétienne, professa les humanités à Tarascon, Draguignan, Narbonne, et partout se signala par une rare aptitude aux exercices scolaires. La tradition nous a conservé le souvenir de quelques-unes de ses compositions latines. On y voit figurer l’éloge de l’orange, en prose : de aureo malo, oratio panegyrica, et des hendécasyllabes sur la blessure d’un petit chien : In catellum lapide læsum. S’il y a quelque pédantisme peut-être se récrier sur le choix de semblables sujets, nous en accepterons très volontiers le reproche. D’Alembert, qui sait tout, nous assure que « le jeune professeur faisait de ces plaisanteries le cas qu’elles méritaient; » mais je crains qu’il ne se trompât. Le jeune professeur, devenu l’éloquent prédicateur, attachera toujours trop d’importance à l’art secondaire de relever par l’ingéniosité du tour et la délicatesse de l’expression ce qui ne vaudrait pas autrement la peine d’être dit, pour que nous ne prêtions pas à notre tour quelque attention à ces bagatelles. Il n’est jamais bon de s’exercer à parler pour ne rien dire, à plus forte raison quand on est doué, comme Fléchier, d’un fâcheux excès de facilité. Lorsqu’il quitta Narbonne, en 1659, pour venir à Paris, il ne faut donc pas douter qu’il fût, dès lors, en possession de quelques-uns de ses plus élégans défauts.

Il eut le malheur de tomber d’abord entre les mains de l’homme le plus propre à les cultiver, un certain sieur de Riche-Source, ou soi-disant tel, qui tenait, rue de la Huchette, académie d’orateurs. Ce n’est pas le lieu de nous espacer sur ce singulier personnage. Il suffit de savoir que Boileau l’a joint à La Serre pour leur décerner à tous deux un brevet de galimatias et de bassesse. Fléchier le suivit trois ans. Je ne relèverai qu’une seule des leçons qu’il en reçut, c’est que, dans la chaire comme au barreau, si « les pensées doivent être faciles en raison des simples auditeurs, elles doivent être brillantes en récompense, afin de les surprendre agréablement par leur nouveauté et leurs ornemens. » C’est à peu près la définition que Mlle de Scudéry donnait de l’air galant, «qui met le je ne sais quoi qui plaît aux choses les moins capables de plaire et qui mêle dans les entretiens les plus communs un charme secret qui satisfait et qui divertit. «Mais Riche-Source est plus clair, au moins, que cette pauvre Sapho. Le principal attrait de l’Académie des orateurs, c’était qu’à de certains jours on s’y réunissait, pour s’entrelire des discours sur toute sorte de sujets. Les uns étaient de ces espèces comme on en proposait à Rome dans les écoles des rhéteurs :