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C’est ce qu’avait très bien vu cet ancien procureur-syndic de la commune de Paris, Rœderer, lorsque le premier, vers 1835, il s’avisa de remettre en lumière l’histoire de la société précieuse du XVIIe siècle. Victor Cousin, qui le suivit, ne réussit qu’à brouiller, dans son livre sur la Société française an. XVIIe siècle, ce que, dans ce célèbre Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie, Rœderer avait si nettement distingué. Le commencement et la fin du XVIIe siècle se joignent. Si la représentation des Précieuses ridicules, en 1659, marque une époque, la représentation de Phèdre, en 1677, en marque une autre; et l’insuccès de la tragédie de Racine est positivement la revanche du succès de la comédie de Molière. L’hôtel de Rambouillet renaît pour ainsi dire dans l’hôtel de Bouillon. Marquis et précieuses, qui cabalent maintenant pour Pradon, sont les mêmes qui jadis ont cabalé contre Molière. Et bien loin, comme on le croit d’ordinaire, que la société du Grand Cyrus et de la Clélie tout entière ait succombé sous les coups de Boileau, l’auteur des Satires n’a pas eu sitôt abandonné le champ que la voilà qui se ranime tout entière et reprend son empire momentanément perdu. C’est ce qu’avait montré Rœderer, et c’est ce que Victor Cousin a fait comme s’il n’avait pas vu. Rœderer, à la vérité, dans son Mémoire, a décoré du nom flatteur de société polie ce que nous désignons du nom moins élogieux de société précieuse, et, mêlant un peu plus qu’il n’eût fallu l’histoire des mœurs à l’histoire des lettres, il a voulu voir un retour vers la politesse des manières où nous voyons surtout un retour vers l’affectation du langage et la subtilité des idées. Mais la thèse, dans sa généralité, subsiste, et il est temps d’y revenir si l’on veut se faire une juste idée de l’histoire de la littérature française au XVIIe siècle.

On n’en trouvera pas souvent une meilleure occasion que celle que nous offre ce livre sur la Jeunesse de Fléchier. Si l’on y joint un premier volume où déjà l’abbé Fabre avait étudié la Correspondance de Fléchier avec Mme Deshoulières et sa fille, je ne crois pas que nulle part, depuis Victor Cousin, quelqu’un eût assemblé tant de matériaux pour l’histoire de la société précieuse. On pouvait se faire une idée, très aisément, car les documens ne manquaient pas, et l’on en était plutôt accablé, de ce qu’elle avait été de 1630 à 1660. Il était un peu plus laborieux (nul, à notre connaissance, n’en ayant tracé le cadre) mais il était encore facile de retrouver ce qu’elle avait été de 1680 à 1710 ou 1720. Ce que personne pourtant n’avait écrit, c’était son histoire de 1660 à 1680, son histoire secrète, pour ainsi dire; dans ces années glorieuses, où les Molière, les Boileau, les Racine d’une part et, de l’autre, les Pascal, les Bossuet, les Bourdaloue remplissant toute la scène, on ne songe guère d’habitude à regarder plus loin et comme derrière le théâtre; et c’est la substance de cette histoire qu’on ne saurait trop remercier l’abbé Fabre de nous avoir donné.

Fléchier naquit à Pernes en 1632. Si je note en passant que son