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exemple, 1,000 individus pourront donner jusqu’à une dizaine de décès par semaine. Mais si le calcul porte sur un grand nombre d’hommes, la proportion indiquée plus haut restera toujours très exacte. Si la statistique porte sur de gros chiffres, toutes les différences particulières s’effacent, et, en fin de compte, le rapport des décès à la population reste constant.

Un exemple saisissant de cette régularité des phénomènes sociaux nous est offert par la donnée suivante, relative au nombre des hommes comparé au nombre des femmes. Il en naît à peu près le même nombre chaque jour en France, ce qui ne laisse pas de présenter une analogie remarquable, et même assez comique, avec l’exemple, pris plus haut, du jeu de cartes rouges et noires. Il semble que le hasard seul détermine le rapport du nombre des individus de sexe masculin avec le nombre des individus de sexe féminin. Nous ne savons aucune des conditions qui font qu’il naît un garçon et non une fille, une fille et non un garçon. Il est donc permis, en toute humilité, d’avouer que c’est le hasard seul qui détermine la naissance d’une fille ou la naissance d’un garçon. Eh bien! ce hasard, — le mot est imparfait, mais on ne peut en trouver de moins mauvais, — ce hasard se reproduit si souvent que les nombres respectifs ne changent pas, et que, non-seulement en France, mais encore dans le monde entier, le nombre des hommes est à peu près égal au nombre des femmes. Ainsi, en France, le nombre des hommes était, en 1876, de 18,373,639 et celui des femmes de 18,532,149. La différence est donc minime. A-t-on le droit de dire que c’est le hasard qui a produit cette différence minime ? Est-ce le hasard, comme pour le jeu de cartes? Est-ce une loi inconnue? Pourquoi les deux chiffres sont-ils si semblables ? Pourquoi s’établit-il un équilibre aussi régulier entre le nombre des hommes et le nombre des femmes ?

Si nous avons cité cet exemple, c’est uniquement pour démontrer que les phénomènes sociaux sont fixes, soumis à des lois, et que la démographie, qui étal)lit ces lois, est une véritable science. Certes, on ne peut savoir la cause précise pour laquelle finalement les naissances des filles et les naissances des garçons s’équilibrent très exactement. La démographie ne peut en dire la cause, mais elle peut savoir dans quelles conditions et dans quelles limites s’établit cet équilibre. N’est-ce pas suffisant pour donner à la démographie un caractère vraiment scientifique? En effet, le sort de toute science est malheureusement de ne jamais pouvoir révéler le pourquoi des choses. Au moins peut-elle en indiquer le comment. La science consiste en une série de réponses de plus en plus approchées du pourquoi final, mais qui n’y arrivent jamais. Pour la démographie, science toute nouvelle, mais qui donnera d’ici à peu de temps des résultats