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agricoles des pays de l’Ouest, qu’on appelle des usines à blé. Si quelque particulier, sans posséder d’immenses capitaux, vient s’établir auprès d’une de ces grandes fermes, il lui sera impossible de soutenir la concurrence, et, au bout d’un an ou deux, il sera forcé de vendre sa terre, non sans avoir subi de grandes pertes. C’est qu’il n’a pas de capitaux suffisans pour acheter les machines, les chevaux, les instrumens qui sont nécessaires ; pour bâtir des hangars, des écuries, des greniers ; pour établir un chemin de fer jusqu’à la gare voisine; pour entretenir des correspondans sur les principaux marchés du monde, etc., toutes dépenses qui exigent un capital énorme, mais qui rapportent de gros bénéfices.

On peut dire que les pays très peuplés sont des pays dont le capital est considérable ; tandis que les pays peu peuplés possèdent un capital minime.

Si encore ce n’étaient que la richesse présente et que la sécurité présente qui fussent en jeu, il serait à la rigueur possible de soutenir que les naissances nombreuses ne sont pas nécessaires à la richesse et à la sécurité de la France. Mais il faut songer à l’avenir. Nous avons à assurer le bonheur, non pas seulement des Français de 1882, mais encore des Français de 1982. Il nous faut, si nous ne voulons pas être accusés d’indifférence et d’imprévoyance, prendre souci de nos arrière-petits-neveux. La prospérité française est comme un héritage qui nous a été transmis par nos pères, et que nous devons, sous peine de forfaiture, transmettre intact à nos descendans.

Or, si le croît en hommes continue à être aussi lent, s’il se ralentit encore, bientôt la France ne sera plus qu’au septième rang des nations européennes. Sa force militaire, et par conséquent sa sécurité; son commerce, et par conséquent sa prospérité, ne seront plus qu’au septième rang, au lieu d’être au premier ou au second rang.

Pour l’avenir, bien plus encore que pour le présent, il faut qu’un peuple fasse en sorte que sa population croisse rapidement. En effet, la conséquence d’un accroissement rapide, c’est que, par cela même, l’augmentation absolue devient chaque année plus considérable. Il en est de l’accroissement de la population comme de l’accroissement de la fortune. Celui qui possède une très grande fortune peut l’accroître très rapidement par suite de l’intérêt qui s’accumule ; et son épargne absolue est d’autant plus grande que le capital est plus élevé. Quant à l’individu dont la fortune est petite, il ne peut jamais faire que de minces économies, même si ces économies sont proportionnellement égales à celles de l’individu très riche. Supposons un peuple d’un million d’hommes, dont la population augmente dans la proportion de 10 pour 1,000 individus.