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que si ce peuple possède une puissance militaire capable de les protéger. Quel est, en effet, pour les nations comme pour les individus, le bien suprême, celui sans lequel toutes richesses et félicités ne sont plus qu’amertumes insupportables? C’est la liberté et l’indépendance. Or l’indépendance d’une nation, dans notre siècle de justice et de progrès, ne peut être assurée que si les canons, les baïonnettes et les forteresses sont en nombre suffisant pour la maintenir. L’ultima ratio des rois est la garantie la plus sûre de la liberté des peuples. Supposons un moment que la France n’ait plus un seul soldat sous les armes. Est-ce que ses voisins, les petits comme les gros, ne se hâteraient pas de la mettre au pillage? Il ne s’agirait que de s’entendre sur le partage des dépouilles. De quel usage seront alors cette richesse accumulée par l’épargne de plusieurs générations, cette prospérité acquise au prix de tant de sacrifices, s’il est impossible de les défendre contre les incursions des tribus voisines? Notre état social européen se rapproche beaucoup de l’état des peuplades sauvages. Les plus prospères, les moins infortunées plutôt, sont celles qui sont nombreuses et puissantes ; car celles-là sont indépendantes, ne subissant pas l’oppression tyrannique ou les incursions pillardes des hordes voisines.

Par conséquent, à ne considérer que la prospérité même, il est de l’intérêt suprême d’un peuple d’avoir une population nombreuse, c’est à-dire des armées puissantes. Si la France continue à augmenter dans d’aussi insuffisantes proportions que depuis le commencement de ce siècle, elle deviendra, relativement aux pays qui l’entourent, si faible, qu’elle ne saura plus maintenir à l’abri des agressions intéressées sa liberté et sa richesse.

C’est un mauvais calcul pour un pays que d’avoir peu d’enfans. Il croit par là assurer sa richesse. Mais il n’y a qu’une seule garantie de sa richesse, c’est sa force. Or sa force dépend de sa population. Les nations très peuplées sont très puissantes : les nations qui se composent d’un très petit nombre d’hommes sont faibles. Eh bien! les peuples faibles sont destinés à être, tôt ou tard, asservis par les peuples forts. Voilà le danger de laisser croître énormément la masse numérique des populations voisines, alors que notre population ne s’accroît qu’en proportions minimes. Un jour viendra où les Français, entourés par des voisins jaloux et puissans, ne seront plus en état de se défendre.

Ce n’est pas à ce point de vue seulement qu’un pays trouve avantage à être très peuplé. L’extension du commerce, de l’industrie, des arts libéraux, c’est-à-dire, en somme, l’extension de la richesse et de l’intelligence, est d’autant plus rapide que la nation est composée d’un plus grand nombre d’individus. Dans un village