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première famille il y a un seul enfant. La dépense qu’il nécessite peut être évaluée à 1,000 francs par an. Restent donc 9,000 francs dont les parens pourront disposer. S’ils sont économes, ils seront en état de mettre de côté chaque année environ 3,000 francs, lesquels, grâce aux intérêts composés, feront au bout de quinze ans un capital de 60,000 francs. Maintenant supposons qu’il y ait, dans l’autre famille, huit enfans. La dépense annuelle, nécessaire pour pourvoir aux besoins de cette nombreuse progéniture, sera de 8,000 francs, et les parens, quoique vivant dans une gêne relative, ne pourront au bout de quinze ans avoir réalisé aucune économie. Cette situation est celle de l’Allemagne et de la Russie, qui consacrent le fruit de leur travail à élever des enfans ; tandis qu’en France, les pères de famille, ayant beaucoup moins de petits enfans à élever, peuvent chaque année accroître énormément leur épargne, et, partant, la richesse publique.

Ainsi, d’après les économistes dont nous combattons l’opinion, l’extension de la richesse privée et de la richesse publique serait la conséquence d’un accroissement modéré de la population. La France est riche, parce que, dans chaque famille, les enfans sont en petit nombre ; l’ouvrier des villes, l’ouvrier des campagnes, le paysan propriétaire, le petit bourgeois, sont, les uns et les autres, plus heureux en France que les mêmes classes d’hommes dans les divers pays de l’Europe. S’il en est ainsi, c’est parce que les Français peuvent, grâce au petit nombre d’enfans qu’ils procréent, réaliser chaque année, plus ou moins, une petite épargne. Leur existence n’est pas empoisonnée par la misère, comme dans les nations voisines Que nous importent alors les grandes armées, les grandes flottes, la puissance du nom français, si le Français vit dans des conditions sociales meilleures que l’Allemand, l’Anglais ou le Russe?

L’objection est devenue très sérieuse, et il importe de la réfuter aussi complètement que possible.

Si l’on ne tient compte que des enfans âgés de moins de quinze ans, il est certain que le calcul présenté plus haut est tout à fait exact. Tant qu’un enfant n’est pas en état de travailler, il consomme sans aucun profit matériel, soit pour la patrie, soit pour la famille. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. Un jour viendra où cet enfant travaillera à son tour, et pourra ainsi accroître la richesse commune.

Prenons l’exemple indiqué plus haut. Dans la famille où il n’y qu’un enfant, le travail de cet enfant, quand il sera devenu un homme, peut-être représenté, je suppose, par un revenu annuel de 3,000 francs. Mais si dans l’autre famille il y a dix enfans, le travail produit par ces dix enfans, devenus des hommes, sera dix fois plus considérable, de 30,000 francs au lieu de 3,000.