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sauver, et que la charmante séquestrée, pour l’aider dans sa fuite, prenne le bras jeune et vaillant d’Horace, ce type accompli du vraiment jeune homme.

Et Horace épouse Agnès, avec qui il vivra heureux et aura beaucoup d’enfans. Molière l’a ainsi voulu, Molière, toujours miséricordieux pour les jeunes, parce qu’il est pour la nature, et que la nature, comme la chanson, veut des époux assortis. Il congédie Arnolphe avec un Ouf! qui finit la comédie. « Que pensez-vous que dira le monde après ma mort? demandait un jour Napoléon à un de ses familiers. — Sire, le monde dira ceci, dira cela, et là-dessus, une oraison funèbre dans les formes. — Vous vous trompez, interrompit l’empereur; le monde n’en dira pas si long; il dira : Ouf! » Le Ouf! d’Arnolphe est aussi gros de significations. Rappelons en passant que Molière avait écrit : Oh ! — Les premières éditions ne portent pas autre chose. — Mais, à la scène, il disait : Ouf! et la tradition a maintenu cette exclamation, où se voit une fois de plus le dessein de Molière de tirer le rôle au comique ; car oh ! peut être du style noble, ouf! non pas. C’est donc le dernier trait par lequel il achève son homme.

Sans revanche possible ! Ah ! si Arnolphe était autrement bâti, si, à son expérience de la vie et à sa connaissance des femmes, il joignait le tact et les délicatesses d’un homme du monde, il y aurait pour lui quelque espoir de retour. Il pourrait profiter du premier orage pour reparaître à la maison, calme, affectueux et consolateur. Il y aurait des chances pour lui aux heures de réflexion où la jeune femme, négligée, se souvient et compare, et peut-être saurait-il lui faire goûter la science de l’homme au fait, avec ses ressources infinies, de préférence à l’inspiration du jeune amant, fougueuse mais inégale et vite lassée. Et alors serait possible cette suite de l’École des femmes, la Revanche d’Arnolphe, qu’on assure avoir été rêvée par Dumas fils. Mais pour cela, je le répète, il faudrait qu’Arnolphe fût un autre homme ; tel que nous l’a offert Molière, il n’y a point pour lui de lendemain.


VI.

Concluons. La thèse que Molière a soutenue dans l’École des femmes est la même que celle déjà présentée dans l’Ecole des maris. Il n’a fait que l’élargir, et d’une simple question de discipline et de gouvernement intérieur, il a fait une question d’éducation. Comment faut-il élever les femmes? Voilà ce dont il traite. Il n’existe pas de comédie plus gaie ni de sujet plus grave.

Mais d’abord, je me demande si j’ai bien posé la question. Comment faut-il élever les femmes, ai-je dit? Ne vaut-il pas mieux se